Le canari dans la mine de charbon
New York — La 18e circonscription de Pennsylvanie, qui s’étale au sud de Pittsburgh, compte plusieurs mines de charbon et un candidat républicain dont le rôle fait penser aux canaris utilisés par les mineurs d’une autre époque pour prévenir les coups de grisou.
Si Rick Saccone remporte demain l’élection complémentaire pour un siège à la Chambre des représentants des États-Unis, les électeurs et les dirigeants de son parti pourront pousser un soupir de soulagement à la grandeur du pays. En revanche, s’il subit la défaite, comme le prédisent certains sondages, ils devront tirer la sonnette d’alarme et envisager la possibilité d’une vague démocrate en novembre à l’occasion des élections de mi-mandat.
« Une défaite ici serait dévastatrice pour le Parti républicain, et même une victoire courte démontrerait que ses candidats sont incroyablement vulnérables à l’approche de novembre. »
— Mike Mikus, un consultant démocrate qui vit dans la 18e circonscription de Pennsylvanie
Bien sûr, Mike Mikus n’est pas un observateur neutre. Mais force est d’admettre qu’il se passe des choses étonnantes dans sa circonscription. Donald Trump y a triomphé par près de 20 points de pourcentage en novembre 2016. L’ancien représentant républicain Tim Murphy, qui a dû quitter son siège en octobre dernier à la suite d’un scandale sexuel, y a été élu sans opposition en 2014 et 2016.
Autrement dit, le républicain Rick Saccone, 60 ans, ne devrait avoir aucun mal à passer le K.-O. au démocrate Conor Lamb, 33 ans. Or, demain soir, cet élu à la Chambre des représentants de Pennsylvanie pourrait lui-même se retrouver au tapis pour le compte. Un tel résultat représenterait la plus grande surprise électorale aux États-Unis depuis la défaite du candidat républicain Roy Moore lors de l’élection sénatoriale de l’Alabama en décembre dernier.
Il constituerait également une gifle pour Donald Trump, qui a participé à un rassemblement d’appui à Rick Saccone samedi soir.
Alors, comment expliquer ce qui se passe dans la 18e circonscription ? Une partie de la réponse tient aux candidats.
« Les démocrates ont choisi le candidat le plus solide possible pour cette circonscription socialement conservatrice », a affirmé Robert Speel, politologue de l’Université d’État de Pennsylvanie à Erie, dans un courriel à La Presse. « Conor Lamb est un jeune vétéran du U.S. Marine Corps et un procureur fédéral. Son profil Twitter inclut une photo de lui accompagnée de la légende “Marine, procureur, patriote, catholique” dans une tentative évidente de courtiser les électeurs socialement conservateurs de la circonscription. »
Son rival, Rick Saccone, n’est pas en reste sur le plan des valeurs religieuses, ayant notamment parrainé à la Chambre des représentants de la Pennsylvanie une résolution faisant de 2012 l’« Année de la Bible » dans l’État. Or, s’il promet de soutenir à Washington les politiques de Donald Trump, il n’a pas une once de son charisme auprès des électeurs.
« Rick Saccone est un bon homme », a dit à La Presse Samuel DeMarco, élu républicain du comté d’Alleghany, dont Pittsburgh est le siège. « Était-il le meilleur candidat ? Les cadres du parti l’ont choisi. »
Quelques instants plus tard, il a ajouté : « Je ne veux pas que vous me fassiez dire que Rick Saccone n’est pas un bon candidat. Mais les personnalités comptent. »
Donald Trump pèsera aussi sur le choix des électeurs de la 18e circonscription. Malgré la bonne tenue de l’économie, sa présidence controversée est un facteur majeur de mobilisation pour les démocrates locaux. Un phénomène semblable a été observé dans toutes les circonscriptions qui ont tenu des élections complémentaires ou ordinaires depuis plus d’un an, de l’Alabama à la Virginie en passant par l’Oklahoma.
« Les démocrates sont très enthousiastes et motivés. Ils veulent aller aux urnes », a admis Samuel DeMarco, l’élu républicain. « Je me demande seulement à quoi ils s’attendent. Les républicains savent ce qui est en jeu. Vous avez en Conor Lamb quelqu’un qui veut abroger les baisses d’impôts, quelqu’un qui prône des mesures restrictives sur les armes à feu, quelqu’un qui ne représente pas nos valeurs. »
Et pourtant, tout indique que bon nombre de démocrates de la 18e circonscription s’apprêtent à rentrer au bercail après avoir voté pour Donald Trump en 2016.
« Si Lamb l’emporte, les démocrates et les républicains pourraient y voir un signe du déclin des appuis du président Trump auprès de sa base électorale de 2016. »
— Robert Speel, politologue de l’Université d’État de Pennsylvanie à Erie
À entendre Mike Mikus, le consultant démocrate, l’analyse des stratèges de son parti ne s’arrêterait cependant pas là.
« Si Conor Lamb gagne, la carte des courses qui sont gagnables pour les démocrates en 2018 s’agrandira de façon considérable. Avant cette course, tout le monde s’entendait pour dire qu’il n’y avait qu’un certain nombre de courses gagnables pour les démocrates, dans les circonscriptions où Hillary [Clinton] a battu Donald Trump et dans les banlieues des grandes villes. Eh bien, une victoire de Conor Lamb ici changerait les prévisions de tout le monde sur les courses susceptibles d’être concurrentielles. »
Et pour les républicains, ce serait un peu comme si le canari détectait la présence de gaz au fond de la mine de charbon.
Et les taxes sur l’acier ?
Mike Mikus, consultant démocrate, et Samuel DeMarco, élu républicain, s’entendent sur au moins une question : même si elle avait été annoncée en partie pour aider Rick Saccone, la décision de Donald Trump de taxer les importations d’acier et d’aluminium n’aura pas une influence importante sur le vote de demain en Pennsylvanie, un État où les emplois dans les aciéries ont diminué de moitié depuis 20 ans.
« Les deux candidats sont favorables à ces taxes », a expliqué Mike Mikus. « Je crois que l’annonce sur la Corée du Nord aura une plus grande influence », a dit de son côté Samuel DeMarco.
Il faut dire que les plus grands syndicats industriels, dont les United Steelworkers et les United Mine Workers of America, appuient le candidat démocrate Conor Lamb. Sans compter que les promesses du président concernant de nouveaux emplois dans les aciéries sont accueillies avec un certain scepticisme.
« Il est douteux que les tarifs puissent vraiment renverser le déclin du nombre d’emplois dans les aciéries de Pennsylvanie », a fait valoir le politologue Robert Speel.