Opinion Jocelyn Coulon

L’incontournable Vladimir Poutine

Il est fréquent de lire dans la presse occidentale, et plus particulièrement dans la presse nord-américaine, que la Russie est isolée. Rien n’est plus faux : au cours des deux dernières semaines, la Russie a été l’hôte d’éminents représentants du « monde libre », tous venus dialoguer avec Moscou et échanger des conseils avec Vladimir Poutine.

Prenez le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Il était en Russie afin de discuter de la situation en Syrie et du rôle de l’Iran au Proche-Orient au moment même où son aviation bombardait des positions iraniennes dans ce pays. Nétanyahou entretient une relation étroite avec Poutine, et Israël n’a jamais adopté la moindre sanction contre la Russie après l’annexion de la Crimée.

Le gouvernement israélien, et on peut le comprendre, est nerveux face aux avancées de l’Iran en Syrie et au Liban. La Russie est le seul pays à exercer un peu d’influence sur le régime de Téhéran. D’où la visite afin de convaincre Poutine de brider les ambitions de l’Iran.

Mais il y a plus. Israéliens et Russes sont profondément liés par l’histoire et la culture. Les juifs d’origine russe sont plus d’un million en Israël et leur poids électoral est considérable. Israël a besoin de la Russie, et la Russie veut un Proche-Orient stable où les puissances régionales – Israël, Iran, Turquie, Arabie saoudite – s’équilibrent. Sur bien des aspects, les intérêts concordent entre Jérusalem et Moscou.

Merkel et Macron

Immédiatement après cette visite, c’est la chancelière allemande Angela Merkel qui s’est rendue auprès du président russe. De retour de Washington où elle a été avertie par Donald Trump que les entreprises allemandes seraient sanctionnées si elles faisaient des affaires avec l’Iran, elle a cru bon de renouer le dialogue avec la Russie, dont l’Allemagne est le deuxième partenaire commercial après la Chine. L’atmosphère était cordiale, sans être chaleureuse, mais Merkel a trouvé une oreille compatissante.

Jeudi et vendredi, c’était au tour d’Emmanuel Macron de se rendre en Russie, cette fois-ci à Saint-Pétersbourg où se tenait un important forum économique réunissant plus de 15 000 participants du monde entier. Étaient aussi présents le premier ministre japonais, Shinzo Abe, et la directrice du Fonds monétaire international, Christine Lagarde. Quant au Canada, qui paraît-il est de retour sur la scène internationale, il n’était pas représenté. Stupéfiant !

Avec ce voyage, le président français fait le pari d’approfondir le dialogue entamé l’an dernier lorsqu’il a reçu Poutine à Versailles. « Cher Vladimir », a-t-il dit à son hôte lors d’une conférence de presse, rappelant ce qui unit les deux pays, mais aussi ce qui les brouille.

Dans une foule de dossiers, du nucléaire iranien à la paix en Syrie et en Ukraine, en passant par la lutte contre les changements climatiques et au terrorisme djihadiste, la coopération de la Russie est indispensable.

Plus encore, Macron est conscient de l’époque dans laquelle est entré le monde depuis l’élection de Trump : le leadership américain s’étiole, la puissance est maintenant de plus en plus partagée entre plusieurs zones.

La France seule ne peut combler le vide américain, mais elle peut tisser avec d’autres une multipolarité adaptée aux réalités actuelles. La Russie est un acteur clé dans ce dispositif.

On dit de Poutine qu’il est un grand stratège. L’Histoire jugera. En attendant, il use patiemment des ressources dont il dispose et joue des divisions de ses adversaires.

Contrairement à Trump, qui vient une nouvelle fois d’afficher son caractère erratique en annulant le sommet avec son homologue nord-coréen, Poutine est prévisible et prudent. On peut compter sur lui, ce qui explique le nombre impressionnant d’alliés occidentaux (Égypte, Pakistan, Arabie saoudite, Brésil, Turquie, Inde) qui le courtisent et nouent des alliances avec lui.

Bien entendu, personne ne va à Moscou par amitié ou par sentiment de valeurs partagées. Mais dans ce monde où la puissance dure prend de plus en plus de place au détriment de la puissance douce, chaque État calcule son intérêt et avance ses pièces. Les Russes ne sont-ils pas parmi les maîtres du jeu d’échecs, métaphore des rapports de force de la géopolitique mondiale ?

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