Séparation des familles migrantes

« Les enfants sont laissés à eux-mêmes »

Une image hante Michael Bochenek depuis qu’il a visité le centre de détention pour migrants de McAllen, au Texas, où des centaines d’enfants ont été arrachés à leurs parents au cours des dernières semaines.

Cette image, c’est celle d’un garçon de 4 ans qu’il a rencontré la semaine dernière dans un entrepôt glacial surnommé le « Réfrigérateur » par les migrants et les agents frontaliers qui les interceptent dans la vallée du Rio Grande.

« J’avais très froid, je tremblais de façon incontrôlable », raconte M. Bochenek, conseiller juridique auprès de la division des enfants à Human Rights Watch.

Malgré le froid et la fatigue, l’enfant, lui, souriait à pleines dents, le cœur léger, inconscient de la gravité de la situation et de l’angoisse de sa mère.

Le lendemain, M. Bochenek a revu le garçon. Il avait été transféré dans un second entrepôt, encore plus grand que le Réfrigérateur. Là-bas, la température était moins froide. La nourriture était meilleure. Il y avait même de minces matelas pour s’étendre.

Pourtant, l’enfant ne souriait plus.

Sa mère avait disparu.

Autour de M. Bochenek, des centaines d’autres enfants séparés de leurs parents s’entassaient dans des cages. 

« Les lumières étaient allumées 24 heures sur 24. Elles n’étaient jamais tamisées. Les enfants ne savaient pas si c’était le jour ou la nuit. Il n’y avait pas d’adultes autres que les gardes en uniforme. Personne ne s’assurait que les enfants mangent. Ils étaient laissés à eux-mêmes. »

— Michael Bochenek

« Horrible. » « Impensable. » M. Bochenek cherche ses mots pour décrire ce dont il a été témoin au Texas. Il participe ces jours-ci à un colloque international sur la détention des migrants organisé par le centre de recherche SHERPA et l’Université McGill. Le colloque réunit des universitaires, avocats, cliniciens et défenseurs des droits de la personne à Montréal.

Loin d’être soulagé par le décret signé hier par le président Donald Trump pour réunir les familles séparées, M. Bochenek y voit une manœuvre cynique pour faire passer une autre politique à son avis inhumaine et fort probablement illégale : la détention prolongée des familles migrantes.

« Donald Trump a fait l’impensable dans le but de nous faire accepter quelque chose d’à peine moins immoral, dit le juriste. C’est une tactique de négociation dans laquelle les enfants sont utilisés comme des pions. »

Repousser les limites

Les images d’enfants arrachés à leurs parents au Texas « bouleversent notre vision de ce qui est normal, de ce qui doit être accepté », estime Janet Cleveland, juriste, psychologue et chercheuse au centre de recherche SHERPA.

Comme si Donald Trump avait cherché à repousser les limites de l’acceptable pour que les Américains accueillent sa solution de rechange avec un soupir de soulagement.

La détention des enfants migrants constitue pourtant une pratique universellement décriée, rappelle Mme Cleveland. « Aux niveaux juridique, humanitaire et clinique, c’est unanime », dit-elle. 

« Toutes les études réalisées à travers le monde démontrent que la détention liée à l’immigration et la séparation familiale sont dommageables pour la santé mentale des migrants. »

— La chercheuse Janet Cleveland

Malgré tout, détenir les enfants est sans doute moins néfaste que de les séparer de leurs parents – surtout dans les conditions qui ont cours actuellement à la frontière mexicaine, estime la pédopsychiatre Cécile Rousseau, directrice scientifique du centre de recherche SHERPA. « Ce sont des conditions atroces. On n’essaie pas de rassurer les enfants. Plusieurs d’entre eux ont été menacés de ne jamais revoir leurs parents. C’est pire qu’une atteinte à l’intégrité physique ; plusieurs parents préféreraient se faire battre plutôt que d’être séparés de leurs enfants. »

Déclaration commune

Les experts réunis en colloque à Montréal ont diffusé hier une déclaration commune réclamant la fin de la détention liée à l’immigration. « Par principe, personne ne devrait être ni détenu ni séparé de sa famille pour des motifs liés à l’immigration », lit-on dans le texte de la déclaration.

C’est que « la détention est nocive pour tous ceux qui la vivent », selon Rachel Kronick, pédopsychiatre à l’Hôpital général juif et professeure adjointe à la division de psychiatrie sociale et transculturelle de l’Université McGill. « Elle est particulièrement dévastatrice pour la santé mentale de personnes vulnérables, notamment les enfants, qui peuvent subir des dommages permanents même après une détention de relativement courte durée. »

Les signataires demandent à la communauté internationale de se conformer à leurs obligations morales et légales en mettant un terme aux « violations des droits humains d’individus qui sont déjà marginalisés et vulnérables ».

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.