Opinion Sylvain Charlebois

ÉPIDÉMIE D’E. COLI
La traçabilité de la laitue romaine

La plus récente alerte de l’Agence de la santé publique du Canada sur les cas d’E. coli liés à la laitue romaine a créé une onde de choc.

En date du 26 novembre, on dénombre une vingtaine de cas confirmés d’infection au pays, mais par chance aucun mort. 

Depuis un an, c’est la troisième alerte liée à la laitue romaine, mais cette fois, l’Agence demande carrément d’éviter sa consommation dans trois provinces : l’Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick.

Par ce geste, l’Agence se trouve à blâmer les autorités américaines en matière de salubrité alimentaire. À l’arrivée de l’hiver, une période particulièrement importante pour les importations de fruits et légumes, l’Agence opte pour un message ferme.

Les entreprises gèrent les risques du mieux qu’elles le peuvent. La laitue, et non seulement la romaine, représente une grande partie des ventes des fruits et légumes.

Et puisqu’il ne s’agit pas d’un rappel, les détaillants doivent absorber des frais supplémentaires inattendus. 

Comme c’était le cas pour les deux alertes précédentes, le malaise du gaspillage en agace plusieurs. Les détaillants et les restaurateurs savent que les consommateurs éviteront la laitue. Plusieurs clients auront entendu parler d’une alerte sur la laitue romaine, mais la plupart ne se souviendront pas des détails précis de l’éclosion. Avec une mémoire limitée, plusieurs éviteront toutes les laitues (américaine, canadienne, romaine, Boston, iceberg), comme ce fut le cas lors des autres alertes. 

Normalement, les consommateurs oublient très rapidement, mais après trois alertes, la clientèle cherchera sûrement d’autres sources de vitamines pour passer l’hiver.

Gestion des terres et traçabilité

L’histoire de la laitue romaine met en lumière deux problèmes majeurs. D’abord, la gestion des terres agricoles.

Il y a une quinzaine d’années, pendant la saison hivernale, nous avons vécu une situation similaire qui touchait les épinards californiens. Une terre d’élevage de bovins et une terre de culture potagère à proximité, ça ne fait pas bon ménage. Dans la majorité des cas, la bactérie E. coli vient du fumier animal qui se fraie souvent un chemin vers les champs de production horticole par la terre ou par l’eau. 

Une meilleure planification des terres agricoles s’impose. Bien sûr, en instaurant des restrictions et une réglementation de surveillance environnementale plus sévères, la juxtaposition de deux types de production non compatibles deviendrait beaucoup plus rare.

L’autre problème majeur se cache derrière la traçabilité alimentaire. Difficile de croire qu’en 2018, nous ne sommes toujours pas en mesure de retracer certains produits alimentaires dans la chaîne.

Au lieu de diffuser un avis qui entraîne un gaspillage ahurissant de laitue non vendue, pourquoi ne pas cibler uniquement les lots touchés et les fermes responsables de l’éclosion ?

Vu notre climat nordique, importer des produits alimentaires fait partie de notre réalité. La complexification des chaînes d’approvisionnement et les exigences accrues des consommateurs mettent la traçabilité des produits alimentaires au centre des préoccupations. Pourtant, la technologie existe.

Plusieurs évoquent la « chaîne de blocs », la blockchain. Cette technologie permet de connaître avec précision toutes les étapes que traverse une denrée avant d’arriver dans l’assiette du consommateur. Retracer un aliment ne prend que quelques secondes. Dans le cas de la laitue romaine, nous n’avons aucune réponse depuis un an.

Mais pour que la chaîne de blocs fonctionne, il faut un désir collectif et une plus grande rigueur au sein de la chaîne, et surtout, une meilleure numérisation de la documentation de la ferme jusqu’à la table. La chaîne de blocs impose une plus grande responsabilisation des acteurs au moyen d’une transparence bien établie.

Ces principes ont du mérite, mais l’industrie sait très bien que les consommateurs ne s’attendent pas à payer plus pour la chaîne de blocs. La traçabilité est comme la ceinture de sécurité dans une voiture : personne ne veut payer plus pour une ceinture de sécurité.

Tout porte à croire que plusieurs s’abstiendront de consommer de la laitue romaine durant les Fêtes. Le système immunitaire de l’un de vos proches ou même le vôtre pourrait ne pas suffire ; s’abstenir demeure donc une bonne idée que vous soyez au Québec, en Ontario, au Nouveau-Brunswick ou même ailleurs. Le risque n’en vaut pas la chandelle.

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