100 idées pour faire avancer le Québec Vieillir sans être vieux Opinion

La grande aventure du vieillissement

Le vieillissement de la population est le plus souvent décrit comme un problème, avec ses coûts et ses conséquences. Ce n’est pas faux. Mais il ne faut pas oublier que ce vieillissement est le résultat de transformations de nos sociétés qui ont été extrêmement positives. Et surtout, le vieillissement tient beaucoup au prolongement de l’espérance de vie qui permet aux Québécois d’avoir une vie plus longue et plus riche que celle des générations qui les ont précédés. Cela demande des adaptations, cela pose des défis, mais derrière ce que l’on appelle le choc démographique, il y a une grande révolution humaine, la transformation du cycle de la vie.

Une révolution dans nos chambres à coucher

Tout a commencé dans les années 60. Ce sont des changements profonds dans nos comportements, au moment de la Révolution tranquille, qui expliquent le choc démographique que nous commençons à vivre de façon plus marquée. Ce qui a alors changé, ce sont nos habitudes de reproduction, avec la contraception, l’affaiblissement des pressions religieuses et la transformation du rôle des femmes. Le taux de fécondité québécois était de 4,04 enfants par femme en 1954, un des plus élevés du monde industrialisé. En 1974, il n’était plus que de 1,42, un des plus faibles. En l’espace de 20 ans, nous avons assisté à un bouleversement majeur. Les Québécois, très italiens dans leur conception de la famille, sont devenus japonais.

Ce changement a eu deux impacts mesurables. Tout d’abord, parce que la fécondité était plus élevée qu’ailleurs, le baby-boom d’après-guerre, qui s’est caractérisé partout par un nombre élevé de naissances, pour rattraper le temps perdu, a été plus fort au Québec, en proportion, que dans les autres sociétés industrielles. Ensuite, parce que le taux de fécondité est tombé brutalement, les générations qui ont suivi celle du baby-boom sont moins importantes qu’ailleurs. C’est ce double défi auquel le Québec fait maintenant face. Mais il ne faut pas oublier qu’à l’origine, il résulte d’un grand progrès social.

Un choc plus marqué au Québec

Une soixantaine d’années plus tard, le baby-boom d’après-guerre a un nouvel impact parce que les enfants de cette génération surdimensionnée ont commencé à arriver à l’âge de la retraite. Le poids des personnes âgées dans la population commence à augmenter, ce qu’on appelle le vieillissement.

On peut avoir une idée de son impact en regardant le taux de dépendance, la proportion des retraités par rapport aux personnes en âge de travailler. En 1966, on comptait, au Québec, huit travailleurs pour chaque retraité. En 2010, ça avait baissé de moitié, quatre travailleurs par retraité. Ce sera trois pour un en 2020, c’est-à-dire demain, et deux pour un en 2030, après-demain. Avec des conséquences économiques et financières importantes, parce que, jusqu’à un certain point, il faudra compter sur la population productive pour soutenir les besoins de la population plus âgée.

Nous ne sommes pas les seuls. Certaines sociétés sont plus vieilles que la nôtre. Ce qui est unique au Québec, c’est la rapidité du processus. Au Canada, il faudra 42 ans pour que la proportion des 65 ans et plus double pour passer de 12 % à 24 %. En Allemagne, ce processus, amorcé plus tôt, prendra 60 ans. Au Québec, il se fera en 33 ans, quoique ce soit plus lent que le pays où le processus est le plus rapide, le Japon, avec 22 ans. C’est en raison de la rapidité du processus qu’au Québec, on peut parler, sans sensationnalisme, de choc démographique.

Le miracle de l’espérance de vie

Si le vieillissement s’explique en partie par ce qui est arrivé du côté des naissances, il est renforcé par un autre grand changement, celui-ci lié à la mort. On ne meurt plus aussi vite qu’avant. Ce prolongement de la vie, qui s’explique par les progrès de la médecine, par les mesures sociosanitaires, par les changements dans les habitudes de vie, n’est pas unique au Québec.

On a souvent tendance à mesurer ces progrès par l’espérance de vie à la naissance, qui était, en moyenne, de 82,7 ans en 2016. Mais cette espérance de vie est affectée par toutes les formes de mortalité tout au long de la vie – mortalité infantile, accidents de la route, suicides.

Pour cette raison, une mesure plus juste pour mesurer les défis du vieillissement, c’est l’espérance de vie à 65 ans, c’est-à-dire, combien d’années de vie reste-t-il à une personne qui arrive à l’âge théorique de la retraite ? La réponse, en 2016, 19,7 ans pour les hommes, ce qui signifie qu’en moyenne, ils pouvaient s’attendre à vivre jusqu’à 84,7 ans, et 22,5 pour les femmes, et donc 87,5 ans.

Mais ce n’est pas tout. Cette espérance de vie augmente rapidement. Depuis 2005, elle a déjà augmenté de deux ans pour les hommes et d’un an et demi pour les femmes. On peut faire une projection. Si vous avez 50 ans, vous pouvez vous dire qu’à 65 ans, votre espérance de vie sera de 86,2 ans si vous êtes un homme et de 88,8 si vous êtes une femme. Et comme, hélas, on observe d’importants écarts dans l’espérance de vie selon les conditions socioéconomiques, ceux qui sont favorisés par le revenu ou l’éducation peuvent ajouter deux ou trois ans à ces projections moyennes. Le chiffre qu’il faut retenir, c’est qu'un grand nombre de Québécois peuvent raisonnablement s’attendre à vivre jusqu’à 90 ans ou au-delà. Et ça, c’est une bonne nouvelle.

Vivre longtemps, mais comment ?

Le nombre de personnes âgées, auquel s’ajoute le prolongement marqué de la vie, aura, et commence déjà à avoir une foule d’impacts. Il affecte déjà le soutien à la retraite, parce que les régimes, privés et publics, n’ont pas été conçus pour soutenir une clientèle qui vit si longtemps. Cette nouvelle réalité nous force, ce en quoi nous avons déjà beaucoup de retard, à repenser l’aménagement des villes, les transports en commun, le logement, à se préparer aux besoins croissants pour des résidences adaptées et du soutien à domicile.

L’élément qui retient le plus l’attention, ce sont les dépenses de santé, quoique le vieillissement ne soit pas la seule cause de l’explosion des coûts. Mais il est quand même vrai que les dépenses de santé augmentent de façon exponentielle avec l’âge. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les dépenses de santé par personne par année, en 2015, au Québec, étaient relativement stables entre 25 et 54 ans, entre 2000 $ et 3000 $. Elles augmentaient à 3602 $ entre 55 et 59 ans, à 6288 $ entre 65 et 69 ans, à 11 736 $ entre 75 et 79 ans, et à 23 702 $ entre 85 et 89 ans.

Mais il ne faut pas regarder que les coûts. D’autant plus qu’on ne sait pas si les baby-boomers, qui ont des habitudes de vie différentes de celles de leurs aînés, auront les mêmes besoins. On doit surtout se réjouir du fait que, collectivement, les Québécois puissent profiter d’une vie plus longue. Pour cette raison, le véritable défi, c’est que ces années de plus soient de belles années. Les statistiques les plus importantes, ce sont celles qui mesurent l’espérance de vie en santé. Et les défis, pour que cela soit possible, ce sont l’amélioration des habitudes de vie, la prévention, la prise en charge des maladies chroniques, et toutes les mesures qui soutiennent l’autonomie des personnes âgées.

Adapter le marché du travail

Le vieillissement a par contre un impact économique important, au-delà des coûts de prise en charge des personnes âgées, en raison de son effet sur le marché du travail. Le nombre de Québécois qui arrivent à l’âge de la retraite dépasse celui des jeunes en âge de travailler. Ce revirement historique est survenu en juillet 2013. Depuis, entre 2013 et 2017, la population des 15-64 ans a baissé de 23 200 travailleurs. Ça n’a pas l’air spectaculaire, mais pour ces quatre années, ce groupe a augmenté de 232 700 en Ontario et de 464 600 dans le reste du Canada. Ça fait une différence. Moins de travailleurs, moins de croissance, des freins au développement. Et ça se calcule. Selon le ministère des Finances, la croissance naturelle de l’économie, qui était de 2 %, tombera à 1,2 % à partir de 2020 à cause de ce facteur démographique.

Là aussi, il y a un défi. On peut les relever en partie par l’immigration, en partie par une meilleure intégration des exclus, comme les assistés sociaux, par le développement des compétences. Mais la voie la plus prometteuse, c’est de mieux profiter de ceux qui sont déjà là, en gardant au travail les travailleurs plus âgés. Et pourtant, c’est au Québec, qui est plus touché par le vieillissement, qu’on a plus de mal à y parvenir. À ce chapitre, le Québec a un problème parce que les travailleurs plus âgés quittent plus rapidement leur emploi. Le taux d’activité, qui est de 75,9 % entre 55 et 59 ans, tombe à 49,1 % entre 60 et 64 ans, ce qui nous dit qu’un grand nombre de Québécois prennent leur retraite avant 65 ans. C’est moins marqué en Ontario, où le taux d’activité des 60-64 ans est de 56,1 %. Pour les 65-69 ans, le taux d’activité québécois est d’à peine 21,3 % au Québec, contre 28,2 % en Ontario.

Il y a des progrès à faire, ils sont possibles, par des mesures fiscales pour encourager le maintien au travail, l’aménagement des horaires et des retraites, une volonté des entreprises de miser sur l’expérience.

Repenser les cycles de vie

Mais les véritables changements doivent être plus profonds. On entend souvent des phrases comme « Fifty is the new forty » (50 est le nouveau 40) pour décrire un phénomène mesurable, le déplacement des moments charnières de la vie. À cause du changement des valeurs, du mode de vie, des progrès de la santé, tout se décale : l’âge de l’arrivée au travail, l’âge d’avoir des enfants, l’âge où on s’estime vieux. Ce n’est pas qu’un slogan de marketing. On voit bien que les gens arrivent à l’âge théorique de la retraite moins usés par la vie et le travail que leurs aînés, qu’ils sont plus actifs, avec plus de projets et d’aspirations pour les nombreuses années qu’ils ont devant eux. C’est la marque de commerce culturelle des baby-boomers de refuser de vieillir et de devenir des retraités comme leurs parents l’étaient, et ce le sera sans doute pour les générations qui suivent.

Le cycle de la vie n’est plus le même. Cela doit se refléter dans nos institutions et dans notre mode de vie. Il y a 50 ans, la retraite, pour bien des gens, c’était le droit de profiter d’un repos bien mérité, qui ne durait pas longtemps, après des années de travail qui les avaient épuisés. De nos jours, la fin de la vie active arrive souvent tôt, quand les gens sont en pleine forme et qu’ils ont encore 30 ans devant eux.

C’est cela qu’il faut changer, dans les politiques, en cessant d’encourager les retraites anticipées et en repoussant progressivement l’âge légal de la retraite. Mais plus fondamentalement, dans nos attitudes, pour s’affranchir de la barrière artificielle des 65 ans, pour que le passage du travail à la retraite se fasse autrement, pour mieux se préparer à cette plus longue vie que l’on veut active et en santé.

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