Chronique

Le Québec vote pour les enfants

Même si les enfants ne votent pas, il est fascinant de voir à quel point les partis misent sur eux pour remporter les prochaines élections. Depuis le lancement officiel de la campagne, les politiciens se sont tous empressés de brandir une série de promesses destinées aux jeunes familles.

Ces cadeaux sont politiquement rentables. « Ce sont des mesures qui ratissent plus large que les gens auxquels elles sont destinées », explique Luc Godbout, professeur de fiscalité à l’Université de Sherbrooke.

Ça fait le bonheur des jeunes qui pensent avoir des enfants un jour comme des grands-parents qui voient leurs enfants courir avec de la broue dans le toupet. Et de manière générale, qui ne souhaite pas favoriser la natalité et s’assurer qu’aucun enfant ne vit dans la pauvreté ?

Depuis une vingtaine d’années, le soutien aux enfants s’est donc considérablement amélioré. Le Québec est devenu le paradis des familles. Et si la tendance se maintient, il sera encore plus paradisiaque après les élections.

Je n’ai rien contre. Mais un bon jour, il faudra aussi penser aux célibataires et aux couples sans enfant qui n’ont jamais droit à rien. Un coup de pouce serait bienvenu pour les personnes à plus faibles revenus qui flirtent avec la pauvreté.

Et si on veut aider nos enfants, pourquoi ne pas rembourser davantage la dette ? Sinon, ce sont eux qui assumeront ce fardeau plus tard.

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Mais comme les familles sont le cheval de bataille de François Legault et que la Coalition avenir Québec (CAQ) mène dans les sondages, les autres partis renchérissent.

La semaine dernière, Jean-François Lisée préparait des « sandwichs péquistes » pour annoncer son intention de créer un service de lunch dans les écoles.

La nouvelle à peine digérée, Philippe Couillard rappliquait avec une promesse de 400 millions pour favoriser la conciliation travail-famille. Les libéraux veulent mettre en place un programme de soutien aux familles dès 2018. Ce programme verserait entre 150 et 300 $, selon les revenus familiaux.

Hier, la CAQ en a rajouté en promettant de bonifier l’actuel programme de soutien aux enfants, une mesure évaluée à 763 millions par année. La promesse caquiste apporterait donc 1200 $ par année à une famille de deux enfants et 2400 $ à une famille de trois enfants. Mais les familles gagnant plus de 107 000 $ n’auraient pas droit au bonbon.

En s’inspirant du programme libéral, la CAQ avait aussi promis, samedi dernier, la maternelle gratuite, mais non obligatoire, à tous les enfants de 4 ans. Cela s’ajoute à l’engagement d’abolir la contribution excédentaire pour les deuxième et troisième enfants inscrits à la garderie.

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La CAQ martèle que les familles ont été « durement frappées par les hausses de taxes et de tarifs des 15 dernières années libérales ».

S’il est vrai que les familles aisées ont perdu au change, il faut reconnaître que la grande majorité des familles ont amélioré leur sort, comme le démontre une étude publiée en juin dernier par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Par exemple, un couple avec deux enfants et des revenus combinés de 90 000 $ reçoit présentement près de 7900 $ par année en soutien financier de la part de Québec et d’Ottawa. C’est plus du triple que ce qu’elle touchait il y a 20 ans.

Il faut aussi souligner que les familles québécoises sont plus choyées que dans toutes les autres provinces. Le soutien de l’État équivaut à 8,9 % de leurs revenus bruts, un pourcentage largement supérieur à la moyenne canadienne (6,2 %). Et l’avantage est encore plus marqué quand on met les frais de garde dans la balance.

Le Québec est aussi parmi les plus généreux à l’échelle l’internationale. Chez nous, les familles reçoivent presque deux fois plus de soutien de l’État qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, par exemple.

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Mais ce portrait rose cache toutefois quelques zones grises.

La très forte progressivité de notre système fiscal fait en sorte que les familles perdent rapidement le soutien de l’État lorsque leurs revenus augmentent.

Cela fait en sorte qu’une famille qui réussit à hausser ses revenus doit remettre une grande partie de son augmentation de salaire. Ce « taux d’imposition implicite » est particulièrement dérangeant pour les familles qui gagnent entre 35 000 $ et 60 000 $, ce qui décourage les parents de travailler davantage.

Les parents séparés sont frappés encore plus durement lorsqu’ils rencontrent une nouvelle flamme. 

Prenons la mère seule d’un enfant de 3 ans, qui gagne 35 000 $ par année. Si elle refait sa vie avec un homme qui gagne 55 000 $, elle perdra du jour au lendemain 7900 $ en soutien de l’État.

En fait, la famille recomposée aura droit à la même somme qu’une famille gagnant 90 000 $ qui ne s’est jamais séparée, ce qui est équitable.

Il est vrai qu’il y a des économies d’échelle à vivre en couple. Sauf que le nouveau conjoint n’assumera pas nécessairement les dépenses reliées à l’enfant, du moins pas au cours des premières années.

Québec pourrait donc mettre en place une mesure transitoire, à la manière du bouclier fiscal, qui permettrait d’atténuer le choc pour la mère.

Mais en période électorale, ce genre de mesure plus pointue est moins séduisant qu’un chèque qui ira directement dans les poches de toutes les familles québécoises.

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