1 de 4 Portraits du bonheur Gisèle Nadeau

« Il y aura toujours quelqu’un prêt à répandre la joie »

Le bonheur est fait de petites choses. Jusqu’à mercredi, nous vous présentons le portrait de gens inspirants qui ont su créer leur bonheur au quotidien.

« C’était le 19 mai 2011. Assise à la station Papineau, en dehors de la porte, je quêtais. Ça faisait six mois que je quêtais. Huit heures par jour, comme un travail. En mendiant, je pleurais à chaudes larmes.

« D’un bond, je vois apparaître une jeune femme. Si délicate… elle me paraît un ange. Elle se rapproche de moi, doucement. “Venez, madame. J’ai peut-être quelque chose pour vous.”

« C’est comme ça que je suis devenue camelot à L’Itinéraire*, un magazine de rue. »

Gisèle Nadeau, à l’époque, a 61 ans. Pendant presque toute sa vie, elle a travaillé comme femme de ménage. Puis, à cause de son âge, les heures de service ont diminué. « J’avais beaucoup d’expérience et, pourtant, ça ne suffisait plus. On préférait les jeunes. Ce fut très dur pour moi. Mais après six mois de quête, voici la surprise destinée à transformer mon existence. »

Gisèle a les yeux en lumière.

« J’ai pu donner un nom à l’ange : Catherine Girouard. Elle était rédactrice en chef à L’Itinéraire. Elle m’a sauvé la vie. J’ai tellement aimé ce boulot… Je vendais un bon journal, un produit de qualité. »

À la retraite depuis quelques mois, Gisèle a laissé sa trace. Les autres camelots l’appelaient Madame Nadeau, pour sa façon bien à elle de se rapporter au monde : respectueuse, distinguée, empreinte de dignité.

Aux stations de métro, elle tenait L’Itinéraire dans ses mains avec fierté et précaution, comme un objet précieux. « Je le portais avec amour », précise-t-elle.

Et cet amour, Gisèle le déversait sur les gens. Elle se surprend encore de toutes les relations qu’elle a pu bâtir.

« Je me souviens d’une cliente, âgée de 90 ans, au métro Jarry. Toutes les deux semaines, elle montait les escaliers et me disait : “Bonjour, madame. Je m’en viens chercher ma nourriture. La nourriture de l’âme.” »

Ce qui caractérise Gisèle, c’est son émerveillement sans faille, sa gratitude, comme si chaque mot, chaque regard, chaque sourire était un véritable cadeau.

« Un jour, une dame m’a dit : “Vous avez une personnalité attirante et attachante.” J’étais surprise qu’elle me dise ça. »

Et ce n’était pas seulement les clients qui l’enchantaient.

« À la station D’Iberville, il y avait une changeuse que j’aimais beaucoup. J’aimais aller la voir. Elle n’achetait pas le journal, mais j’appréciais la façon dont elle se comportait avec moi. C’était vraiment beau à vivre. »

Mais ce qui définit Gisèle par-dessus de tout, c’est sa bienveillance.

« J’ai toujours cru en la bonté des gens. En dépit des choses terribles peuvent advenir dans le monde, il y aura toujours quelqu’un prêt à répandre la joie. »

Et la joie, pour Gisèle, a un impact au-delà des attentes.

« Un jour, j’étais dans le hall du métro Fabre et une dame que je connaissais de vue est venue vers moi et m’a fait un câlin. Une autre femme, en passant sur l’escalier mobile, a vu la scène et nous a fait un sourire. Ça lui a fait du bien. »

Maintenant qu’elle a terminé son travail de vente, Gisèle continue sa mission à travers l’écriture.

« Écrire, c’était mon rêve d’enfance, et avec L’Itinéraire, je l’ai repris en main. Je partage de petites pensées, des souvenirs joyeux, ce qui me rend heureuse et peut contribuer au bonheur des autres. »

* Le Groupe communautaire L’Itinéraire accompagne les personnes marginalisées, exclues du marché traditionnel du travail, ayant connu l’itinérance, la dépendance, ou souffrant de problèmes de santé mentale. La moitié des articles du journal de rue sont écrits par les camelots, accompagnés dans la rédaction par l’équipe et par des bénévoles. Parmi ses projets d’économie sociale, L’Itinéraire gère le Café de la Maison Ronde, unique café autochtone à Montréal.

Ils disent de Gisèle…

Les employés de L’Itinéraire racontent

« Madame Nadeau a quelque chose d’angélique, de spécial. Sa douceur est incroyable. Si jamais on est fâché dans la vie, on devrait prendre une minute et parler avec elle. Gisèle valorise beaucoup le contact avec les personnes. Elle incarne vraiment, profondément, la mission de notre organisme. » 

— Charles-Éric Lavery, chef du développement social

« Voir Gisèle savourer sa vie me donne immanquablement le goût de dévorer la mienne. »

— Josée Cardinal, distributrice

« Elle est la bonté même. La bonté, la modestie, l’humilité. »

— Josée Panet-Raymond, rédactrice en chef

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