Analyse

« Je hais la politique ! »

Québec — Les conjointes de premier ministre ont une importance bien variable dans la vie de leur politicien de mari. Michèle Dionne jouait un rôle de premier plan auprès de Jean Charest. Elle s’était démarquée dans des organisations caritatives, la Croix-Rouge notamment. Comme Corinne Côté-Lévesque pour René Lévesque, Audrey Best avait de l’influence sur Lucien Bouchard – elle joua un rôle central dans sa décision de démissionner en 2001. Elles donnaient une touche de distinction à l’administration.

L’importance du rôle d’une conjointe auprès d’un politicien était encore évidente hier : Martin Coiteux avait son épouse à ses côtés pour annoncer qu’il mettait un terme à sa carrière politique. Bien sûr, elle aurait respecté sa décision s’il avait décidé de continuer. Mais son sourire hier en disait long sur sa satisfaction devant le choix de son conjoint.

Suzanne Pilote partage depuis 15 ans la vie de Philippe Couillard. Elle ne défraie pas souvent la chronique – une apparition fugace sur une photo ou en fond de scène sur la tribune à la télé. L’Infoman Jean-René Dufort l’a mise en vedette récemment. Elle est devenue une invitée régulière à l’émission, et ses répliques toujours directes montrent un désintérêt total pour la politique.

Son intervention impatiente lors d’une visite d’un cockpit d’Airbus qui ne lui plaisait visiblement pas ou son obstination à manger du maïs soufflé lors de l’ouverture du Carnaval de Québec ont un dénominateur commun : on ne dit pas quoi faire à Suzanne Pilote. 

Originaire du Saguenay, graphiste, elle a rencontré Philippe Couillard à Sherbrooke, à son retour d’Arabie saoudite, en 2003. On aurait peine à trouver deux personnalités plus différentes. Lui, cérébral, profite de ses moments de détente en lisant des biographies, en allant à la pêche ou en conversant avec son ami et conseiller Roberto Iglesias. Elle est loin de cela et ne s’intéresse guère à la politique, même si elle donne fréquemment son opinion.

En revanche, c’est elle qui fait marcher la maison à Saint-Félicien. Toute l’intendance, des courses jusqu’à la moindre facture, passe entre ses mains, tandis que son mari plane dans un univers parallèle. « Elle aime mener, diriger… Elle n’est pas princesse, mais plutôt reine », confiera, amusé, un ministre qui a maintes fois eu à manger les chocolats que la « première dame » distribue aux membres du gouvernement à Noël. Aux moments importants, à l’édifice Price, les convives ont droit à la tourtière traditionnelle et à la tarte aux bleuets.

Sur la sellette

Elle s’est retrouvée sur la sellette, hier matin, quand, sur les ondes du 98,5, le chroniqueur Bernard Drainville a rapporté des propos qu’elle aurait laissés tomber lors d’un événement récent à Montréal. Sur l’avenir de son mari, elle n’aurait pas fait dans la dentelle. « Moi, je ne souhaite pas qu’il gagne. Je veux qu’il perde. Je suis tannée et je veux l’avoir à la maison avec moi ! » Si on ne peut trouver d’autres témoins de ces déclarations étonnantes, ceux qui la connaissent l’imaginent parfaitement les prononcer.

Depuis 2012, année du retour en politique de Philippe Couillard, elle dit à qui veut l’entendre qu’elle « hait la politique ». Elle lui avait donné un ultimatum pour qu’il quitte la politique en 2007. « Ce n’est pas pour rien qu’il passe trois jours par semaine à Saint-Félicien, c’est clair qu’il n’a pas le choix ! », dira un collaborateur.

Elle est piquée au vif, plus que Couillard lui-même, quand le premier ministre est critiqué dans la presse, confie-t-on.

Il y a aussi une autre Suzanne Pilote. C’est celle qui était au cœur de la décision de Philippe Couillard de parrainer une famille de réfugiés syriens, il y a deux ans. Elle aime les livres anciens – le travail de reliure, l’impression –, champs d’intérêt qui ont guidé ses visites lors de ses passages à Paris depuis deux ans. Habile, elle fabrique la plupart des vêtements qu’elle porte, même dans des occasions formelles.

Au retour de Philippe Couillard à la tête du PLQ, les courtisans soupesaient l’influence réelle de sa conjointe. Lise Thériault, dans le camp Bachand, avait attaqué très durement M. Couillard. Suzanne Pilote l’avait prise en grippe. À la formation du gouvernement, Mme Thériault devint vice-première ministre ; on comprit vite qu’elle n’avait guère d’influence sur les décisions politiques. En revanche, Mme Pilote plaida avec succès pour le retour d’un Norman MacMillan dans l’entourage du premier ministre. Elle appréciait le style de l’ancien député de Pontiac : coloré… et direct.

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