« Il est fini, il n’est plus là. Atteins-le, atteins-le ! » Dans le coin de Gary Kopas, le coach Adam Lorenz criait avec enthousiasme. C’était le 10e et dernier round. Après avoir encaissé une enfilade de coups à la tête, David Whittom vacillait sur le ring, peinant à tenir sur ses jambes. Son rival a lancé un ultime crochet de droite, à 37 secondes de la fin du duel. Le coup aura été fatal.
« C’est encore difficile d’en parler. Je me suis senti monstrueux, j’ai ressenti beaucoup de culpabilité, confie un an plus tard Gary Kopas, joint à son domicile à Saskatoon. Je sais que ce n’est pas ma faute, que sa blessure est le résultat d’une longue série de coups à la tête. Mais je fais quand même partie de l’histoire de sa fin tragique. »
Près de 3000 spectateurs s’étaient entassés à l’Aitken Center à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, pour assister au combat. David Whittom, natif de la région, était le favori de la foule. « Les gens criaient pour lui, ils étaient là pour l’encourager. Quand je portais de bons coups, ils m’applaudissaient aussi. On a livré un spectacle excitant jusqu’à la fin », raconte l’homme de 38 ans.
Les deux pugilistes s’affrontaient pour obtenir le titre vacant de champion professionnel canadien des lourds-légers. « J’étais tellement heureux de mettre la main sur cette ceinture, c’était un rêve que je caressais depuis longtemps », dit-il.
Au petit matin, le vainqueur célébrait avec son équipe devant une pizza, dans un pub du centre-ville. Jamais il n’aurait pu imaginer qu’au même moment, à quelques coins de rue, son adversaire luttait pour sa vie à l’hôpital régional Dr. Everett Chalmers. « Je l’ai appris seulement le lendemain par le promoteur. Ç’a été un choc, on ne s’attend jamais à ça. Ce n’est pas quelque chose qui arrive tous les jours. »
Sa victoire est désormais douce-amère, car son titre est à jamais associé à la mort de son adversaire.
« Je ne voulais pas le blesser »
David Whittom a fait ses débuts en boxe professionnelle à Québec en 2004. Boxeur prometteur, il a vu son étoile pâlir en raison de ses problèmes de comportement et de sa dépendance à l’alcool et à la cocaïne. Devenu journeyman (boxeur de sous-carte), son rôle premier a été de faire valoir ses opposants sur le ring.
Ainsi, on a pu le voir au Centre Bell affronter les meilleurs : Adonis Stevenson, Adrian Diaconu, Eleider Álvarez et Oscar Rivas. Contre quelques dollars, il offrait une résistance appréciée des spectateurs, en réussissant à tenir debout jusqu’à la limite. Vers 2011, ça s’est gâté. Il a subi knock-out après knock-out. En mai dernier, le Québécois, trop usé, n’a pu résister.
À la fin de l’affrontement, Kopas a bien vu que Whittom avait de la difficulté à se défendre. Il aurait aimé que l’arbitre mette fin au combat plus tôt, a-t-il déclaré à CBC, quelques jours après le combat. « David semblait ébranlé, mais certains boxeurs reviennent et gagnent, précise-t-il maintenant. Je savais qu’il était coriace, qu’il avait affronté de grosses pointures et qu’il savait encaisser. C’était vraiment difficile à prévoir. »
Pour s’assurer du titre, Kopas devait donc continuer de frapper. C’est ce que lui criait son entraîneur. C’est ce qu’il a fait.
« Je ne voulais pas le blesser, mais c’est la boxe. Je voulais gagner. »
— Gary Kopas
Pendant que Kopas, poings en l’air, se pavanait victorieux sur le ring, Whittom tenait debout uniquement grâce aux câbles qu’il ne lâchait plus. L’équipe médicale a installé un petit banc sur lequel le boxeur, l’air confus, s’est assis. Après quelques minutes, il a réussi à quitter le ring par lui-même. Rien ne laissait présager le pire, souligne son adversaire.
Victime d’une sévère hémorragie cérébrale, Whittom a été hospitalisé pendant 10 mois. « J’avais très peu de nouvelles, la famille restait discrète sur son état. Selon ce que j’en savais, il prenait du mieux, il était en voie de guérison », dit Kopas. Le Saskatchewanais a livré deux combats depuis. Un premier en novembre, un autre en février. Il a gagné.
L’estomac noué
« Je me suis battu chez moi, à Saskatoon, pour la première fois de ma carrière. C’était vraiment spécial », confie-t-il. Il a eu une pensée furtive pour David Whittom. « Quand tu es sur le ring, tu oublies tous tes soucis, tu ne penses plus à rien. Tu n’entends que la foule, tu ne vois que ton opposant, dit-il. Je pensais sincèrement qu’il allait s’en sortir. »
C’est par hasard, sur les réseaux sociaux, qu’il a appris la mort du Québécois. « J’étais au restaurant avec des amis. Mon estomac s’est noué, je me suis senti vraiment mal. Ç’a été étrange de l’apprendre de cette façon. Je ne savais pas quand c’était arrivé, ni comment », regrette-t-il.
Il n’est pas allé aux funérailles, qui se déroulaient à Fredericton. « J’ai parlé à sa mère, à ses proches. Ils m’ont répété que ç’avait été le choix de David de monter sur le ring, que je n’avais pas à me considérer comme responsable de ce qui était arrivé, que ce n’était pas ma faute. Ça m’a aidé d’entendre ces paroles venant des membres de sa famille. »
Kopas souhaitait leur offrir du réconfort, mais comment ? Au bout de quelques jours, il a démarré une campagne de sociofinancement (GoFundMe) destinée au fils de David, Zack, âgé de 11 ans. « Ça ne changera pas l’issue du combat. Ça ne ramènera pas David. Mais c’est important pour moi d’aider son fils, même si je sais qu’il est bien entouré », dit-il. Ce père de deux garçons (Austin, 12 ans, et Taylor, 17 ans) a lui-même versé plus de 700 $ par l’entremise de la page qu’il a créée.
Prévenir le pire
Adam Lorenz, qui était dans le coin de Kopas le 27 mai dernier, a été marqué par la mort de Whittom. L’entraîneur s’engage à mieux protéger les boxeurs sous son aile, a-t-il annoncé il y a deux semaines. « Récemment, des décès associés aux sports de combat ont attiré l’attention des médias […], la succession de blessures traumatiques au cerveau est un facteur déterminant dans ces tragédies, a-t-il écrit sur Facebook. La sensibilisation est bienvenue, mais je crois qu’on doit faire plus pour protéger les athlètes au quotidien. »
Son club, le Modern Martial Arts Center de Saskatoon (MMAC), aura désormais recours aux services de professionnels de la santé pour superviser les diagnostics, le traitement et le retour des athlètes lors d’une commotion cérébrale.
« Tous les compétiteurs du MMAC devront se soumettre à une évaluation de base. Si une commotion cérébrale survient, ils seront réévalués et suivis. »
— Adam Lorenz, entraîneur au club Modern Martial Arts Center de Saskatoon (MMAC)
Seuls les professionnels de la santé – pas les entraîneurs ni les athlètes – pourront autoriser un retour à l’entraînement lorsqu’ils jugeront la situation sûre. « J’espère sincèrement que d’autres académies de sports de combat implanteront un protocole similaire », a ajouté le coach. Kopas salue l’initiative. « C’est vraiment génial et j’espère qu’on adoptera cette façon de faire d’un océan à l’autre. »
Le pugiliste songe à accrocher les gants dans la prochaine année, après un ou deux combats à venir. « Je suis en transition, j’entraîne des jeunes défavorisés. Je suis passionné de boxe depuis l’âge de 13 ans et je le serai toujours. Je souhaite entraîner des boxeurs jusqu’à ma mort. » Une mort qu’il aimerait douce, lors de ses vieux jours. Loin, bien loin du ring.
Une enquête du coroner
Le bureau du coroner du Nouveau-Brunswick a ouvert une enquête sur la mort de David Whittom, a révélé la CBC le 20 mars 2018. De son côté, la Commission des sports de combat du Nouveau-Brunswick a mené sa propre enquête sur le combat ayant opposé Whittom à Gary Kopas. Il n’y a pas eu négligence et toutes les règles ont été correctement suivies, a conclu la Commission, rapporte la CBC.
Pas de permis au Québec
David Whittom n’avait plus de permis pour boxer au Québec. « Après sa défaite par K.-O. au 2e round aux dépens du poids lourd Hughie Fury, un colosse à qui il concédait un avantage de 5 pouces et 26 livres à la pesée, la Régie québécoise des alcools, des courses et des jeux, qui supervise les sports de combat, a suspendu son permis pour une période de 180 jours », a écrit le journaliste Jean-Luc Legendre de RDS dès le 29 mai 2017. Pour obtenir un nouveau permis, Whittom devait présenter des tests d’imagerie médicale satisfaisants. Il ne l’a jamais fait.