COVID-19

Une entreprise québécoise testera une nouvelle molécule contre la maladie

La petite boîte de biotechnologie québécoise Laurent Pharma se jette dans la lutte contre la COVID-19. L’entreprise, issue d’un laboratoire de l’Université McGill, croit qu’une molécule qu’elle développe déjà contre l’inflammation des poumons pour les patients atteints de fibrose kystique pourrait atténuer les effets les plus graves de la COVID-19.

« On travaillait déjà sur le potentiel anti-inflammatoire de notre molécule, appelée LAU-7B, et on a découvert par hasard qu’elle avait aussi des effets antiviraux. C’est pour ça qu’on pense qu’à eux deux, ces effets vont montrer une efficacité clinique contre la COVID-19 », explique à La Presse Yves Rosconi, président du conseil d’administration de Laurent Pharma.

Le nom scientifique de la molécule est la fenrétinide. Pour vérifier son potentiel, Laurent Pharma compte amorcer d’ici trois semaines une étude clinique sur des patients atteints de la COVID-19 au Canada et aux États-Unis. Des résultats pourraient être obtenus trois mois plus tard.

Cette étude n’est pas sans rappeler celle lancée par l’Institut de cardiologie de Montréal, qui teste actuellement une molécule appelée colchicine contre la COVID-19. Les deux molécules s’attaquent à l’inflammation et veulent prévenir les effets les plus graves de la maladie. Il existe toutefois des différences importantes dans les mécanismes d’action des deux molécules et le design des deux études.

Alors que l’Institut de cardiologie de Montréal veut recruter 6000 patients susceptibles de développer des effets secondaires graves, Laurent Pharma n’en enrôlera de son côté que 200. Ceux-ci seront toutefois recrutés directement à l’hôpital, alors qu’ils souffrent déjà de complications liées à la COVID-19.

« Nous prenons les patients plus tard, juste avant qu’ils n’entrent en problèmes inflammatoires sérieux », explique Yves Rosconi. La moitié du groupe recevra un placebo, l’autre recevra de la fenrétinide. L’entreprise veut voir si le groupe qui reçoit le candidat-médicament s’en tirera mieux que l’autre.

M. Rosconi ne veut pas se lancer dans une course aux patients avec l’Institut de cardiologie de Montréal. Les participants seront admissibles à l’étude même s’ils prennent déjà de la colchicine ou même de l’hydroxychloroquine, ce médicament antipaludique qui suscite beaucoup d’engouement pour son potentiel contre la COVID-19.

« Dans les deux bras de notre étude, le bras placebo et le bras traité, il y aura autant de patients qui prennent de la chloroquine ou de la colchicine. Les tests statistiques vont pouvoir distinguer les patients qui ont été traités avec tous ces produits et distinguer l’effet pur du LAU-7B », explique Yves Rosconi, qui a longtemps dirigé l’entreprise de biotechnologie québécoise Theratechnologies.

Maîtriser l’inflammation

M. Rosconi explique que la fenrétinide ne vise pas à empêcher l’inflammation qui, en soi, est une réponse bénéfique de l’organisme. En temps normal, cette inflammation finit toutefois par s’atténuer dans une phase qu’on appelle « résolution ». Chez certains patients atteints de la COVID-19, cette phase ne semble pas se produire et l’inflammation s’emballe, provoquant des effets dangereux.

« On veut intervenir sur la phase de résolution, pour que la réponse inflammatoire redevienne normale. »

— Yves Rosconi, président du conseil d’administration de Laurent Pharma

La molécule est déjà testée en Australie, au Canada et aux États-Unis sur des patients atteints de fibrose kystique et qui souffrent justement d’inflammation pulmonaire. Cette étude est notamment financée par Investissement Québec et par la Fondation américaine de fibrose kystique.

En parallèle, des tests en laboratoire sur des virus apparentés à celui de la COVID-19, dont le coronavirus qui cause le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), ont montré que la fenrétinide empêchait le virus de bien se lier aux cellules humaines. Comme le SARS-CoV-2 qui cause la COVID-19 utilise les mêmes mécanismes pour s’infiltrer dans nos cellules, Yves Rosconi estime que la molécule pourrait aussi ralentir l’infection de cette maladie. Il affirme que la fenrétinide a également montré un effet antiviral contre le VIH et le virus Zika.

Caroline Gilbert, professeure au département de microbiologie-infectiologie et immunologie de la faculté de médecine de l’Université Laval, juge cette étude clinique « prometteuse ». 

« Il ne faut pas oublier que nous avons besoin d’une réponse inflammatoire antivirale optimale et efficace pour orchestrer une bonne réponse immunitaire, donc bloquer la mise en place de la réponse n’aurait pas de sens, selon moi. C’est plutôt la réponse inflammatoire soutenue qui peut être néfaste. Une molécule favorisant le retour vers un niveau plus faible a des chances de succès », estime-t-elle. 

Elle aime aussi le fait que l’étude clinique vise un groupe très ciblé de patients. La chercheuse souligne toutefois qu’il est difficile de prédire les effets indésirables de la molécule LAU-7B sur des patients âgés, compte tenu du fait qu’elle a été développée pour des patients plus jeunes souffrant de la fibrose kystique.

L’étude clinique que compte lancer Laurent Pharma coûtera « de 2 à 4 millions US » (de 2,8 à 5,6 millions CAN) et sera financée par des investisseurs privés. « C’est sûr qu’on aimerait voir les gouvernements du Canada et du Québec nous aider », glisse Yves Rosconi. L’étude devrait se dérouler dans une douzaine de centres hospitaliers canadiens et américains. Les discussions pour les approbations par les comités d’éthique ainsi qu’avec Santé Canada et la FDA américaine sont en cours.

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