Québec

Forillon, entre paysages et mémoire

Le parc Forillon célébrera bientôt ses 50 ans. Un bijou de la Gaspésie, qui a attiré un nombre record de 172 000 visiteurs l’an dernier. Mais combien connaissent le volet le plus sombre de l’histoire de sa création ? Un nouveau pas vient d’être franchi dans le processus de réconciliation entre les expropriés et le gouvernement, mais le lieu reste chargé d’émotions.

 

UN REPORTAGE DE VIOLAINE BALLIVY ET DE BERNARD BRAULT

Ceux qui ont dû tout abandonner

Eva Synnott se souvient très bien, trop bien, de ce matin d’automne où elle se réveilla pour découvrir une épaisse colonne de fumée s’élevant de la maison de son oncle. Elle n’avait que 10 ans. Mais elle comprit de suite ce que cela signifiait : bientôt, ce serait la sienne que les fonctionnaires du gouvernement viendraient brûler. Bientôt, ce serait sa chambre de petite fille qui serait réduite en cendres.

Et elle avait raison : quelques semaines plus tard, un incendie rasa la résidence familiale. Le gouvernement provincial menait alors une vaste opération de rachat – et de destruction – des maisons de quelque 225 familles, visées par un avis d’expropriation afin de permettre la naissance du tout premier parc fédéral en sol québécois, sur la péninsule de Forillon, en Gaspésie. La nouvelle, annoncée en 1970, avait initialement suscité beaucoup d’espoirs : on avait évoqué la possibilité que 2000, voire 3000 emplois soient créés, une bénédiction pour cette région à l’économie vacillante. C’était avant que les limites du parc ne soient dévoilées, avant que les avis d’expropriations ne soient publiés, avant que les évaluateurs commencent à circuler de maison en maison pour calculer le prix de chaque maison, chaque lopin de terre qui devait être racheté. Le plus rapidement possible.

Il s’est écoulé 18 mois entre la décision, à Ottawa, et la fin des expropriations.

« Le gouvernement voulait aller tellement vite pour exproprier qu’il a tourné certains coins ronds », observe Aryane Babin, historienne et auteure du livre : L’expropriation du territoire de Forillon : les décisions politiques au détriment des citoyens.

« Les maisons étaient rudimentaires, mais en matière d’expropriation, il faut qu’on puisse remplacer le bien qui a été racheté », explique Mme Babin. Or, quantité d’expropriés affirment que ce ne fut jamais le cas, incluant la quinzaine rencontrée par La Presse en Gaspésie, le mois dernier. Dont Herbert Perry, qui a finalement cédé sa maison à deux étages pour 14 000 $, terrain de plus de 1 km2 inclus. « Elle en valait au moins 40 000 $ », dit-il, les yeux humides, bleus comme la chemise parfaitement pressée qu’il a enfilée ce soir-là. Il raconte que la construction d’une nouvelle maison à un seul étage lui a coûté 30 000 $. « Ils venaient toujours quand je n’étais pas là, ils tourmentaient ma femme et nous menaçaient de baisser leur offre, déjà trop basse, si on n’acceptait pas tout de suite. » Plusieurs ont été contraints de s’installer dans des habitations à loyer modique de Gaspé, délaissant du même coup leur ancien mode de vie, la pêche, la culture maraîchère, alouette.

« C’est un beau parc, qui fonctionne bien, mais il n’a jamais apporté tout ce qu’on avait promis […] et sa construction a laissé beaucoup de cicatrices dans la population locale », remarque Aryane Babin.

Des gains

C’est à l’aube du 40e anniversaire du parc Forillon que les expropriés se sont rassemblés, pour la première fois, afin de réclamer des compensations pour leurs droits qu’ils estiment avoir été floués. Ils ont obtenu, alors, des excuses officielles du gouvernement fédéral (qui avait voté la construction du parc) et provincial (qui s’est occupé de libérer le territoire visé), et des laissez-passer pour entrer gratuitement sur le site du parc Forillon, valables pour trois générations (les expropriés souhaitent qu’ils soient étendus à cinq générations). Des triptyques ont aussi pu être installés en six endroits du parc où des communautés ont été déplacées, expliquant cet épisode et listant les noms de tous les exproprié.

« On nous a refusé qu’il y soit mentionné que les maisons ont été brûlées. » 

– Marie Rochefort, présidente du regroupement des personnes expropriées de Forillon

Puis, à la mi-juin 2018, Parcs Canada a annoncé que quelque 3000 à 4000 artéfacts provenant des maisons détruites à Forillon seraient prochainement exposés au musée de la Gaspésie. Une aile sera construite expressément pour accueillir cette collection inusitée, dont l’existence n’a été dévoilée qu’en 2016 au public.

« C’est une étape très, très importante dans le processus de réconciliation », remarque Marie Rochefort. Notamment parce que cette action permettra de mieux faire connaître le passé des expropriés aux touristes.

« On veut que les gens viennent, voient comme le parc Forillon est beau, mais on ne veut pas que son histoire soit oubliée », explique Marie Rochefort. Des leçons ont d’ailleurs été tirées – assez rapidement d’ailleurs – de cet épisode, remarque Aryane Babin. En 1973, Jean Chrétien, qui est alors ministre des Parcs nationaux, annonce que dorénavant, les gens qui habitent dans les limites d’un futur parc national ne devraient plus avoir à déménager, contrairement à ce qui a été imposé aux gens de Forillon à peine deux ans plus tôt. Lors de la dernière création d’un parc gouvernemental (provincial, dans ce cas-ci) au Québec, le parc Opémican, aucune expropriation forcée n’a été menée : des propriétaires de chalet qui ne souhaitaient pas vendre leur chalet à l’État ont pu le garder, malgré la création du parc.

Des visages des expropriations

Debbie Phillips pose devant des photographies de l’auberge que ses parents géraient dans le secteur de Penouille. Elle avait 10 ans quand elle a été rasée, de même que leur casse-croûte et une série de chalets de vacanciers. « Mon père a tout perdu à 55 ans, je me rappelle le moment où il a pleuré en réalisant ce qui se passait. » Elle aussi pleure encore en évoquant ces souvenirs : « J’aimerais que le gouvernement Trudeau vienne nous présenter des excuses, à Forillon. On en a eu, mais à Ottawa, ce n’est pas la même chose. Ce serait plus respectueux. » Le secteur de Penouille abrite l’une des plus belles plages du parc. Eileen Perry revient chaque année, au mois de juillet, dans la péninsule de Forillon pour retrouver le lilas, un peu plus foncé, un peu plus tardif que les autres, qui poussait devant la maison de son enfance. « C’est mon seul moyen de retrouver le lieu où j’ai grandi », raconte-t-elle. Son père, Herbert, en avait emporté une bouture, en quittant la maison, en 1971, qu’il a replantée soigneusement devant sa nouvelle maison de Gaspé. On peut maintenant en apercevoir trois fleurir à l’été, devant chez lui, et deux devant la maison de sa fille.

Claudine et Marjolaine Noël ont passé le début de leur enfance dans la Montée Maurice, dans la partie est du parc, en pleine nature, et l’ont terminée dans un HLM de Gaspé. « Cela n’a pas été évident de reloger une famille de huit enfants », se rappelle Claudine. Mais plus que les grands espaces, c’est l’esprit de communauté qui s’était développé entre les 29 familles du secteur qui lui a manqué le plus. « Un de mes oncles voulait garder sa maison et la déménager, il avait trouvé un terrain à vendre, pas loin, mais on lui a refusé », relate Claudine. « Notre grand-mère cuisinait à la noirceur. Elle ne voulait pas allumer la lumière chez elle pour ne pas que les fonctionnaires voient qu’elle était là et viennent lui parler de la vente de sa maison », se rappelle aussi Marjolaine. Encore aujourd’hui, elles se demandent si l’expropriation de ce secteur, situé à la limite du parc, n’a pas été une erreur. « Il n’y avait rien de particulier, sinon que c’était chez nous. »

Les merveilles de Forillon

Quelques suggestions pour découvrir le plus beau visage de Forillon

Au bout du monde

Le bout du monde ? Parcs Canada l’a fixé symboliquement à l’extrémité de la péninsule du Saint-Laurent, tout au bout d’un sentier de randonnée de 4 km au départ de l’Anse-aux-Amérindiens. Le point de vue est magnifique sur le fleuve, grand comme la mer, ici, et à défaut d’être au bout du monde, on aura à tout le moins l’impression d’être loin, très loin de chez soi. Et au plus près possible de la nature, alors que des baleines s’amusent à venir nous saluer à la surface de l’eau, jeu de cache-cache sans cesse renouvelé. Prévoyez un pique-nique au pied du phare.

Au plus haut du parc

Un mont ? Les randonneurs les plus aguerris trouveront l’expression un chouïa exagérée, n’empêche que le mont Saint-Alban est bel et bien le point le plus haut du parc, qu’on rejoint sans trop de mal en 60 minutes de marche. C’est au sommet de la tour qu’on découvre le paysage de carte postale, si, tant, tellement photographié et avec raison, des dernières collines des Appalaches plongeant dans le fleuve Saint-Laurent. Le départ se fait tout près du cap Bon-Ami, lieu de prédilection des oiseaux marins qui viennent nicher dans les falaises grugées par le vent et les vagues. Le chemin est d’autant plus intéressant sachant qu’il était aussi utilisé, à l’époque, par les habitants pour aller d'un village à l’autre. Le parc compte une dizaine de sentiers de randonnée, du plus facile (à peine 600 m !) à plus de 35 km, pour les envies de nature plus sauvage.

Au large

Regarder le fleuve, ce n’est pas s’y plonger. Et venir au parc Forillon sans se mouiller, c’est presque impensable. Le surf à pagaie, coqueluche de l’heure, s’est immiscé jusqu’ici, où l’on propose des sorties au coucher du soleil, à cette heure où « le noir et le rouge ne s’épousent-ils pas », et que tout devient si calme. Que les novices se rassurent : des sorties sont prévues pour eux. À la mi-août, alors que les Perséides éclaireront le ciel, il faudra réserver les sorties au clair de lune, axées sur l’interprétation des étoiles.

Jusqu’au 3 septembre

Au magasin général

Quelques bâtiments ont été épargnés lors de la création du parc Forillon pour être transformés en sites touristiques rappelant le mode de vie des Gaspésiens au XIXe siècle. Les enfants apprécieront particulièrement la visite du magasin général Hyman & Sons, où l’on met le pied en faisant un bond en arrière de quelque 150 ans. Au rez-de-chaussée de la maison construite en 1864, les étalages sont chargés de conserves et autres provisions dans des emballages calqués sur les originaux d’époque, et de marchandises diverses pour les pêcheurs (bouées de verre, cirés de marin) : on regrette presque que rien ne soit à vendre. À visiter aussi : les maisons Dolbel-Roberts et Blanchette. 

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