Attaque au camion-bélier

Des larmes et des questions

De nombreux Torontois sont venus se recueillir sur les lieux du drame au lendemain de l’attaque meurtrière qui a ébranlé la Ville Reine. Alors que la thèse d’une attaque misogyne semblait alimentée par une publication sur Facebook du suspect, de nombreuses questions subsistaient hier sur les motifs du carnage.

Attentat au camion-bélier

Alek Minassian accusé de 10 chefs de meurtre

Au cours d’un long point de presse, la police de Toronto s’est faite avare de révélations hier, faisant monter la tension alors que les zones d’ombre de l’enquête sont toujours nombreuses. Néanmoins, des éléments commencent à se préciser.

La haine des femmes était-elle au cœur du crime ?

La police de Toronto a soufflé le chaud et le froid à ce sujet, hier. Les traits tirés par une longue nuit de travail, le sergent Graham Gibson, détective à la section des homicides, a d’abord confirmé l’authenticité d’un mystérieux billet masculiniste publié sur Facebook par Alek Minassian avant de se lancer dans sa course meurtrière (voir autre texte). Il a également souligné que le téléphone cellulaire de l’accusé avait été saisi, avant d’ajouter qu’il préférait ne pas commenter davantage les événements vu l’enquête en cours et les accusations déposées. Il a néanmoins indiqué que la majorité des victimes étaient des femmes, sans pour autant préciser dans quelle proportion ni si cela s’appliquait aux personnes mortes ou blessées.

A-t-on fourni d’autres précisions ?

Martelé de questions par les journalistes au cours d’un point de presse tendu, le sergent Gibson s’est raidi et la tension a monté dans les échanges. L’accusé souffrait-il de maladie mentale ? Était-il obsédé par Elliot Rodger, auteur d’une tuerie motivée par sa haine des femmes ? « Ce sont des avenues que nous devrons explorer. » Fait-il partie d’un groupe organisé ? « Nous ne sommes en communication avec aucun groupe. » Était-il frustré par son rapport aux femmes ? Pas de commentaires. A-t-il foncé de manière délibérée sur des femmes et évité des hommes ? « À ce moment-ci, nous n’avons pas de preuve en ce sens. » Peut-on parler d’un acte terroriste ? « Toutes les pistes sont envisagées », a dit le chef de police Mark Saunders.

De quoi Alek Minassian est-il accusé ?

Alek Minassian, 25 ans, a comparu hier matin devant la Cour de justice de l’Ontario. Dix chefs d’accusation de meurtre au premier degré (prémédité) ont été déposés contre lui, ainsi que 13 chefs de tentative de meurtre. Un 14e pourrait s’ajouter au cours des prochains jours, a plus tard précisé la police de Toronto. Les mains menottées derrière lui, les cheveux coupés très courts et vêtu d’une combinaison blanche, l’accusé est apparu très calme pendant l’audience, écoutant sans broncher les accusations déposées contre lui. Il reviendra en cour le 10 mai et restera incarcéré d’ici là. Son père, qui a assisté à la comparution, a dû être escorté par les policiers jusqu’à son véhicule après avoir été assailli par une horde de médias à sa sortie du palais de justice. S’essuyant les yeux, il aurait murmuré « Je suis désolé », selon certains médias.

Quand connaîtra-t-on l’identité des victimes ?

« Pas avant quelques jours. » La réponse a suscité la stupeur parmi les dizaines de journalistes réunis dans les quartiers généraux de la police de Toronto. Le Dr Dirk Huyer, coroner en chef de l’Ontario, a exposé la complexité que représentait l’identification des corps, en raison notamment du grand nombre de victimes, de l’étendue de la scène de crime et de la gravité des dommages corporels qui ont été infligés. « Nous ne dévoilerons aucun nom tant que nous ne saurons pas exactement qui sont ces gens, et ce, afin de fournir les informations exactes à leur famille. Nous voulons éviter toute confusion. » Martelant l’importance d’une méthode scientifique rigoureuse, le Dr Huyer a ajouté qu’il n’excluait pas de recourir à la validation par dossier dentaire ou même par des tests d’ADN, dont les résultats peuvent toutefois entraîner des délais de plusieurs mois. Les victimes seraient âgées de la mi-vingtaine jusqu’à plus de 80 ans.

Pourquoi certains noms ont-ils été divulgués ?

Ce sont essentiellement les médias qui ont révélé l’identité de certaines victimes après avoir recueilli des témoignages. Tôt hier matin, le réseau CBC a affirmé qu’Anne Marie D’Amico, employée d’une société d’investissement, était morte après avoir été fauchée par la camionnette blanche. Un représentant du ministère des Affaires étrangères de la Corée du Sud a plus tard indiqué que deux citoyens sud-coréens étaient au nombre des victimes. En soirée, quelques autres noms se sont précisés (voir autre texte).

Qu’a-t-on appris de neuf sur Alek Minassian hier ?

Relativement peu de choses. Plusieurs médias, dont La Presse, avaient déjà rapporté qu’Alex Minassian, unique suspect dans l’attaque qui a coûté la vie à 10 personnes, était un programmateur informatique doué, mais qu’il souffrait de problèmes d’adaptation sociale. Selon le Globe and Mail, il souffrirait du syndrome d’Asperger. On a appris hier qu’il a été membre des Forces armées canadiennes pendant deux mois, d’août à octobre 2017, mais qu’il « n’a pas terminé sa formation et a demandé à être libéré des Forces après 16 jours de formation au camp des recrues » à Saint-Jean-sur-Richelieu, a confirmé l’armée dans un courriel. Un ancien collègue a confié au Globe and Mail que Minassian se mêlait peu aux autres recrues. La Presse s’est rendue à sa résidence de Richmond Hill, banlieue cossue et multiculturelle de Toronto, où il habite avec ses parents. La maison familiale faisait l’objet d’une intense activité policière, hier. Quelques voisins ont parlé d’une famille très discrète, dont ils savaient toutefois peu de choses, sinon rien du tout. « Ici, chacun fait ses affaires », a résumé Wes, un voisin dont la résidence est située face à celle des Minassian.

Quels nouveaux détails ont filtré de l’enquête ?

Encore une fois : très peu. La police a toutefois rectifié le déroulement des événements. Alek Minassian aurait loué la camionnette blanche en matinée et amorcé le carnage à 13 h 25. Sept minutes plus tard, il a été arrêté par les forces de l’ordre, après avoir laissé sur son passage 10 morts et 14 blessés. Les 15 blessés évoqués la veille découlaient d’une erreur de comptage, selon la police, qui avait aussi fait état d’une opération de 26 minutes lundi. Dans ce cas, la confusion aurait été causée par la multiplication des appels au 9-1-1. Autrement, la police a réitéré son appel au public pour lui fournir des vidéos et des témoignages afin d’aider les autorités à reconstituer le fil exact de la scène d’horreur qui a secoué tout le pays. Deux lignes téléphoniques ont d’ailleurs été activées pour faciliter le partage d’information par les citoyens.

Et maintenant ?

John Tory, maire de la Ville Reine, a annoncé hier que la Fondation de Toronto serait chargée de gérer le fonds #TorontoStrong, campagne de sociofinancement destinée à venir en aide aux victimes et à leurs familles. M. Tory a du même souffle rendu hommage aux premiers répondants et aux employés de la Ville pour leur implication dès les premières minutes qui ont suivi l’horreur. « La ville est en deuil, mais elle est forte et résiliente », a-t-il dit. Mark Saunders, chef de police, a pour sa part vanté le travail abattu par les hommes et les femmes de son service. Il a également indiqué que la circulation sur la scène de crime pourrait reprendre dès hier soir.

Attaque au camion-bélier

Bouffée d’amour pour les victimes

Des centaines de Torontois ont défié la tristesse et le temps gris pour rendre hommage aux victimes de l’attaque de lundi.

Attaque au camion-bélier

« La rébellion incel a déjà commencé »

Le tueur Elliot Rodger et les « incels » – « célibataires involontaires » – ont été évoqués dans un message publié sur la page Facebook d’Alek Minassian avant l’attaque. Explications.

Alek Minassian, l’homme au volant de la camionnette meurtrière de Toronto, et Alexandre Bissonnette, l’auteur de l’attentat à la Grande Mosquée de Québec, ont un modèle commun. Derrière leurs attaques plane l’ombre d’un autre tueur de masse, l’Américain Elliot Rodger, et de son idéologie, celle de la communauté des « incels » (célibataires involontaires), connue pour sa haine des femmes et des hommes actifs sexuellement et ses propos misogynes faisant l’apologie du viol.

Minassian et Bissonnette se sont tous les deux intéressés à l’assassin Elliot Rodger. Cet homme de 22 ans est l’auteur d’une tuerie au couteau et à l’arme à feu qui a fait 6 morts et 14 blessés à Isla Vista, en Californie, en mai 2014. Il s’est suicidé. Avant de passer à l’acte, le tueur a enregistré une vidéo dans laquelle il expliquait vouloir punir les femmes parce qu’elles le rejetaient et les hommes qui étaient actifs sexuellement. Il se décrivait comme un « incel », diminutif de l’expression « involuntary celibate » – célibataire involontaire, en français.

Quelques minutes à peine avant que la fourgonnette qu’il conduisait se mette à zigzaguer sur le trottoir de la rue Yonge à Toronto, Minassian a publié sur sa page Facebook un message faisant l’apologie de Rodger et du mouvement incels.

« La rébellion incel a déjà commencé. Nous allons renverser tous les Chads et Stacys [expressions péjoratives souvent utilisées pour désigner de jeunes hommes et femmes qui correspondent aux stéréotypes de réussite et de beauté]. Saluons tous le gentilhomme suprême Elliot Rodger. »

Une porte-parole de Facebook a confirmé dans un courriel envoyé hier à La Presse que la page où a été publié ce message est authentique et qu’elle appartient bien à Minassian. Le profil a été supprimé lundi par le réseau social dans la foulée de l’attaque au camion-bélier.

« Est-ce que ça veut dire que le motif pour lequel il a fait ce qu’il a fait est déterminé par son allégeance incel ? Ça peut être important comme ça peut ne pas être si important. Pour l’instant, on n’a rien qui montre que c’est vraiment ça qui l’a inspiré. »

— Phil Gurski, ex-analyste au Service canadien du renseignement de sécurité

Hier, l’administrateur du forum web Incels.me, qui ne s’est identifié qu’avec le pseudonyme Master, a assuré à La Presse qu’Alek Minassian n’avait jamais publié de message sur son site internet. « Personne sur le forum n’avait entendu parler de lui avant ces derniers événements. Être un “incel” n’a aucun lien avec la violence, les agressions, la misogynie ou toute autre connotation négative. Bien qu’il se soit peut-être identifié comme un incel, il ne représente en aucun cas la communauté. Une seule personne ne représente pas une communauté. »

Sur les fils de discussion du forum, qui compte des centaines de milliers de messages, Minassian était le sujet de l’heure. Alors que plusieurs utilisateurs ont fermement condamné son geste et se sont prononcés contre la violence, quelques-uns l’ont louangé et ont espéré que son geste amènerait de la publicité à leur mouvement. Même chose sur un autre forum de célibataires involontaires, celui-là hébergé par la tribune en ligne 4chan.org, réseau directement interpellé par Minassian dans son dernier statut sur Facebook.

Bissonnette s’est aussi intéressé à Rodger

Comme Alek Minassian, le Québécois Alexandre Bissonnette s’est intéressé au tueur Elliot Rodger et à ses revendications avant de passer à l’acte en 2017.

La veille de l’attaque contre la mosquée de Québec, Bissonnette a fait des recherches sur Google avec le nom du tueur, a révélé un rapport d’extraction informatique de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) déposé aux observations sur la peine qui ont lieu au palais de justice de Québec.

Un autre rapport soumis au juge, l’expertise psychologique rédigée par le psychologue Marc-André Lamontagne, qui a rencontré Bissonnette depuis son arrestation, fait aussi état de Rodger.

« L’expertisé a rapporté que le début de la “spirale” se situait au printemps 2014. Il a dit avoir été bouleversé par la tuerie d’Isla Vista en Californie qui a eu lieu le 23 mai 2014. Il a mentionné avoir lu sur la vie du tueur, Elliot Rodger, et s’être identifié à lui. Il a dit : “J’en revenais pas qu’il ait fait quelque chose comme ça. C’est comme si j’avais une sorte de connexion avec lui… Une sorte d’empathie que j’avais jamais eue avant”. […] 

« Bissonnette a rapporté qu’Elliot Rodger n’avait pas de copine, pas de vie, qu’il en voulait à tout le monde, qu’il détestait la race humaine, qu’il était un “misanthrope” et qu’il se reconnaissait dans ce qu’il avait écrit. »

Qui sont les « incels » ?

La communauté virtuelle des « célibataires involontaires » a commencé comme un groupe de soutien « pour des gens qui n’avaient pas de relation romantique ou sexuelle », explique Margaux Bennardi, intervenante psychosociale au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence et coordonnatrice de la ligne info-radical.

Avec le temps, « ça s’est développé ou du moins raffermi, et il y a eu un discours misogyne et pro-viol qui a découlé de ce groupe-là. On y relie des comportements qui légitiment la violence. On parle de propos haineux à l’égard des femmes, mais aussi, lorsqu’on parle de viol, de crimes haineux à l’égard des femmes », dit-elle. 

Selon Mme Bennardi, les « idéologies mentionnées par les incels » peuvent être une cause de radicalisation. « Chez les incels, ce qui ressort, c’est toute l’idée de la construction identitaire. Ça rejoint la perception du rôle masculin, qui est décrite comme s’il faut absolument être fort, avoir des gènes avantageux qu’eux n’ont pas et que c’est pour ça qu’ils ne peuvent pas entrer en relation. » 

« Ils parlent aussi d’une puissance, de demeurer en contrôle, contrôle que les femmes ont volé. Pour le reprendre, on utilise la violence pour montrer la puissance. D’un autre côté, la femme va être plutôt décrite comme une chose. »

— Margaux Bennardi, du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, à propos des incels

« Il y a aussi le sentiment d’oppression, ajoute Mme Bennardi. Des droits auxquels ils n’ont pas accès. Tout ce qu’ils veulent, c’est avoir des relations amoureuses et des relations sexuelles. Il y avait aussi un besoin d’appartenance et c’est pour ça que le groupe a émergé, pour que d’autres puissent parler du fait que leur vie sexuelle est insatisfaisante. C’est de revendiquer des choses auxquelles ils estiment avoir droit. »

On trouve leurs fils de discussions sur les forums 4chan et Reddit, qui a d’ailleurs banni l’an dernier un groupe nommé Incels qui comptait 40 000 membres. Une pétition lancée sur le site change.org demandait à Reddit de fermer ladite page, qualifiée d’endroit « toxique » et de « coin sombre de l’Internet ». Des sites leur sont aussi entièrement consacrés, comme incels.me.

Ce dernier définit un incel ainsi : « Une personne qui ne peut pas avoir de relations sexuelles en dépit de son désir d’en avoir. Concrètement, cela va au-delà du simple fait d’avoir des rapports sexuels. C’est l’impossibilité de trouver un partenaire, que ce soit pour obtenir la validation, l’amour ou l’acceptation. Le sexe est secondaire. »

Dans ses règles, le forum interdit complètement la présence de femmes dans ses fils de discussions.

Attaque au camion-bélier

Le message Facebook décortiqué

Quelques minutes avant de passer à l’acte, Minassian a écrit ceci sur Facebook. Qu’est-ce que ça veut dire ?

« Soldat (recrue) Minassian fantassin 00010 souhaite parler au sergent 4chan s’il vous plaît. C23249161. La rébellion incel a déjà commencé. Nous allons renverser tous les Chads et Stacys. Saluons tous le gentilhomme suprême Elliot Rodger. »

« Soldat (recrue) Minassian fantassin 00010 »

Les Forces armées canadiennes ont confirmé hier que Minassian a passé deux mois dans ses rangs entre août et octobre 2017 au camp des recrues de Saint-Jean-sur-Richelieu. La mention « Infantry 00010 » peut faire référence à « un code pour les Groupes professionnels militaires », explique Jessica Lamirande, conseillère principale en communications au ministère de la Défense nationale. « C’est le code d’identification attribué à chacun des métiers dans les Forces armées canadiennes. Chacun des métiers a son propre code. Tous les fantassins ont ainsi le code “Fantassin 00010”, ou “Infrantry 00010” en anglais. »

« Sergent 4chan »

Le forum de discussion en ligne 4chan héberge des groupes de discussion des « incels » ou « célibataires involontaires », un mouvement louangé par Minassian. Les incels sont des hommes qui n’arrivent pas à avoir de relations sexuelles ou amoureuses et qui se réussissent sur internet pour en discuter. Alors que le mouvement en était d’abord un de soutien, il a basculé vers un discours misogyne, haineux et parfois violent. Les usagers y dénoncent les femmes qui ne veulent pas d’eux et les hommes qui arrivent à avoir des relations sexuelles.

« C23249161 »

Encore ici, on peut voir un lien avec le court passage de Minassian dans l’armée canadienne. « Ça semble être un numéro de service, ce qui est essentiellement le numéro d’identification individuelle à chaque membre », note Jessica Lamirande, du ministère de la Défense nationale. Impossible de savoir s’il s’agit du numéro qui a été attribué à Minassian ; pour des raisons de confidentialité, l’armée ne confirme pas les numéros de ses membres.

« Chads et Stacys »

Les « Chads » et les « Stacys » sont des noms utilisés en anglais de manière souvent péjorative pour désigner de jeunes hommes et femmes qui correspondent aux stéréotypes de réussite et de beauté. Le site Incels.me définit ainsi le Chad typique : « Chad est ce que l’incel n’est pas. Charismatique, grand, beau, confiant, musclé. Il peut être perçu comme bon ou mauvais. Il est une caricature. »

« Gentilhomme suprême Elliot Rodger »

Elliot Rodger est un tueur de masse américain. Il a assassiné 6 personnes et en a blessé 14 à Isla Vista, en Californie, en mai 2014, avant de se suicider. Avant de passer à l’acte, le tueur a enregistré une vidéo dans laquelle il expliquait vouloir punir les femmes parce qu’elles le rejetaient et les hommes qui étaient actifs sexuellement. Il se disait vierge et se décrivait comme un « incel ».

Alek Minassian

L’autisme ne pourrait expliquer « un geste aussi délibéré »

Il est toujours difficile d’expliquer ce qui peut pousser un homme à commettre un attentat aussi horrible que celui qui a frappé Toronto lundi. Mais ceux qui voudraient trouver une réponse facile dans le fait que l’accusé, Alek Minassian, pourrait être atteint du syndrome d’Asperger font fausse route, préviennent des experts.

L’idée qu’Alek Minassian souffrait du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme, a été avancée par The Globe and Mail. Le quotidien rapporte qu’en 2009, la mère d’Alek, Sona Minassian, avait confié à un journal local que son fils atteint du syndrome d’Asperger risquait de perdre l’accès à un programme visant à aider les jeunes à surmonter leurs « barrières cognitives » et à intégrer le marché du travail. Le nom de son fils n’était pas mentionné.

Ceux qui ont côtoyé l’accusé l’ont décrit comme un homme intelligent, mais « un peu étrange » et qui ne « s’intégrait pas complètement ». Ces informations sont évidemment très loin de représenter un diagnostic, mais elles sont compatibles avec les déclarations de la mère de l’accusé.

« Je ne pense pas que ce soit quelque chose qui puisse expliquer un geste aussi délibéré », commente Marc Lanovaz, professeur agrégé à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et spécialiste de l’autisme. 

L’expert souligne que les gens atteints d’un trouble du spectre de l’autisme, loin de transgresser les règles, ont plutôt tendance à les suivre à la lettre, et sont bien plus souvent des victimes que des agresseurs.

Un facteur de risque ?

Il reste que les liens entre autisme et tueries de masse font régulièrement la manchette. Adam Lanza, qui a tué 27 personnes dans une école de Sandy Hook, au Connecticut, était atteint du syndrome d’Asperger, selon son propre père. Le même syndrome a été évoqué dans le cas de James Holmes, qui a ouvert le feu dans un cinéma d’Aurora, en 2012, et dans celui d’Anders Breivik, qui a commis des attentats meurtriers en Norvège en 2011.

En 2014, des scientifiques écossais et suédois se sont penchés sur le profil de 239 tueurs en série ou de masse. Selon leurs analyses, 28 % d’entre eux souffraient d’un trouble du spectre de l’autisme « diagnostiqué, hautement probable ou possible ». Le nom de Marc Lépine, tueur de l’École polytechnique de Montréal, figure dans la liste des cas « hautement suspectés ».

Il faut cependant être extrêmement prudent en interprétant ces résultats. Les auteurs eux-mêmes ne suggèrent pas que l’autisme est responsable des tueries. Ils écrivent que dans certains cas, il est possible que certains problèmes neuro-développementaux puissent « interagir dans une dynamique complexe avec des facteurs psychosociaux pour produire ces événements tragiques ».

Mais ces conclusions vont déjà trop loin pour le professeur Marc Lanovaz, de l’Université de Montréal, qui reproche aux auteurs d’avoir établi des diagnostics « possibles » ou « probables » sans évaluation psychiatrique, seulement à partir de témoignages rapportés dans les médias. 

« Quand quelqu’un commet un geste inexplicable, les gens cherchent une explication. Ils analysent les comportements et se rappellent que la personne avait un comportement bizarre… Ce n’est pas assez pour établir un diagnostic. »

— Marc Lanovaz, professeur agrégé à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et spécialiste de l’autisme

Le Dr Rob Whitley, professeur adjoint au département de psychiatrie de l’Université McGill, met aussi en garde contre la tendance à voir de la maladie mentale à chaque tragédie. « En anglais, je dis : bad does not equal mad », dit-il.

Lili Plourde, présidente de la Fédération québécoise de l’autisme, estime que la pire chose à faire serait aujourd’hui de considérer les autistes comme des bombes ambulantes.

« Les personnes autistes ne sont pas dangereuses, dit-elle. Il ne faut pas se mettre à avoir peur de celles qui sont dans notre environnement. Déjà qu’elles sont victimes de stigmatisation et d’intimidation… Quand des choses comme ça arrivent, c’est toujours inquiétant de voir comment ça peut se traduire dans la communauté. »

Le professeur Lanovaz explique que les personnes autistes sont plus susceptibles que les autres de souffrir d’anxiété ou de dépression, mais refuse d’établir un lien avec des actes de violence à grande échelle. Il rappelle que si les personnes autistes peuvent avoir de la difficulté à entrer en relation avec les autres, cela ne veut absolument pas dire qu’elles ne ressentent pas le besoin et le désir de créer ces liens. « Il faut vraiment faire la différence entre habileté et motivation », dit-il. Et s’il est vrai que les personnes autistes peuvent avoir de la difficulté à se mettre à la place des autres, cela ne peut aucunement expliquer des tueries comme celle de Toronto.

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