RÉFLEXION

« Allo, c’est moi ! »

Ce retrait volontaire derrière une tablette ou un autre appareil de la sorte est-il une lente dérive vers une société de solitude et de misanthropie ?

Il y a quelques années, j’ai découvert le film Denise Calls Up dans un petit cinéma de répertoire à Paris. Je me souviens du malaise que cette comédie américaine m’a procuré.

Il s’agit d’un groupe d’amis de New York qui ne restent en contact que par fax et par téléphone. Ils ne se voient jamais et deviennent incapables d’interagir pour vrai. Ils s’abritent volontairement derrière la technologie et pour eux, les choses vont de mal en pis. Lorsqu’on se soustrait à la réalité de vraies rencontres, la peur de l’autre et le stress s’installent…

Communiquer sans se regarder, sans se toucher… Ce film réalisé il y a presque 25 ans était précurseur.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Les choses s’accentuent et les nouvelles générations s’installent dans ces habitudes…

La réalité dépasse la fiction

Je suis étonnée de constater combien les ados et les adultes textent d’une façon compulsive sur les différentes plateformes. Pourquoi se parler quand dans une même pièce, assis les uns à côté des autres, on peut s’envoyer des messages ? Comme le font si bien les jeunes…

Sommes-nous en train d’enterrer l’art de la conversation ?

Lors d’un repas en famille, mon ado de 14 ans expliquait combien se parler de vive voix (en « live », comme ils disent) peut créer un malaise, surtout quand on connaît peu ou pas l’interlocuteur. L’habitude maintenant omniprésente des textos change forcément les rapports entre les gens. Les codes de communication ont évolué et pas seulement pour les jeunes.

Dans Denise Calls Up, la présence physique et les vraies rencontres deviennent petit à petit menaçantes. En 2019, au-delà du côté indéniablement pratique, rapide et efficace, le texto et les messageries en direct agissent comme des masques protecteurs. Ces armures derrière lesquelles bien des gens se sentent en sécurité maintiennent une certaine distance.

Suis-je un dinosaure ?

La « Julie la Pie » que je suis adore parler ! J’essaie le plus possible de voir mes amis, mais la vie étant ce qu’elle est, je texte certes, mais « profite » des interminables embouteillages de Montréal pour téléphoner et prendre de leurs nouvelles. Combien de fois m’arrive-t-il de texter (pas en auto) avant d’appeler pour être sûre de ne pas déranger ? Ou encore de téléphoner spontanément en m’excusant d’agir ainsi ? Assistons-nous à une nouvelle forme de politesse ? Suis-je un dinosaure parce que j’aime encore entendre une voix, y déceler des émotions et avoir ainsi un rapport un peu plus direct, moins superficiel ?

Les différents réseaux sociaux donnent l’illusion de rester en contact les uns avec les autres et d’appartenir à une communauté.

Je ne dirais pas le contraire, puisque j’en suis aussi une utilisatrice. Encore faut-il le faire avec parcimonie et ne pas verser dans l’exagération.

Joindre quelqu’un virtuellement est un jeu d’enfant et donne l’impression d’avoir des quantités d’amis.

Nous utilisons les nouvelles technologies de façon outrancière pour pouvoir communiquer davantage et, en réalité, nous assistons à un paradoxe évident : l’individualisme n’a jamais été aussi présent et va souvent de pair avec la fausse gentillesse, le manque de délicatesse et le peu d’empathie. Ce retrait volontaire derrière une tablette ou autre appareil de la sorte est-il une lente dérive vers une société de solitude et de misanthropie ?

Pendant les ébats sexuels...

Selon un récent sondage français réalisé par l’ISOP, 20 % des jeunes de 18 à 35 ans répondent au téléphone ou à un texto pendant leurs ébats sexuels. C’est quand même beaucoup ! Est-ce une spécificité française ou pourrait-on le vérifier chez les milléniaux d’autres pays ?

Quand un appareil électronique de ce genre s’immisce dans ce qu’il y a de plus intime, on peut se poser de sérieuses questions sur la qualité des relations et des contacts humains.

Où sont l’abandon, les sentiments et l’authenticité ?

The Sound of Silence

Je me suis souvenue de la chanson The Sound of Silence de Simon & Garfunkel dont le thème est le manque de communication. En 1964, Paul Simon écrivait des paroles visionnaires, poétiques et tellement justes.

Je me suis dit qu’il serait grand temps de les faire découvrir à mes enfants.

People talking without speaking

People hearing without listening

People writing songs that voices never share

(Des personnes qui discutaient sans parler

Des personnes qui entendaient sans écouter

Des personnes qui écrivaient des chansons qu’aucune voix n’a jamais partagées)

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