Science

L’homme de Néandertal, ce don Juan

À la fin août, des paléontologues allemands ont annoncé la découverte des restes de l’enfant de deux espèces distinctes d’ancêtres de l’homme moderne. La jeune fille, dont le fossile gisait depuis 50 000 ans dans une grotte sibérienne, avait une mère néandertalienne et un père dénisovien. Depuis quelques années, les relations entre l’homme moderne et ses ancêtres se révèlent de plus en plus complexes.

UN DOSSIER DE MATHIEU PERREAULT

La tournée des cavernes

La bombe est tombée en 2010 : environ 2 % des gènes des humains modernes proviennent de l’homme de Néandertal. Cela signifie que certains de nos ancêtres Homo sapiens, les hommes de Cro-Magnon, ont eu des aventures avec leurs prédécesseurs. Depuis, les preuves s’accumulent et montrent que des Néandertaliens ont séduit non seulement des Homo sapiens mais aussi d’autres espèces d’hominidés, dont des Dénisoviens.

Métissage préhistorique

Le petit morceau d’os n’avait pas, au départ, été reconnu comme d’origine humaine. « Des gens à Oxford ont décidé en 2015 de mesurer la quantité de protéines dans l’os et se sont rendu compte qu’il s’agissait d’un hominidé », explique Viviane Slon, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutive à Leipzig, qui est l’auteure principale de l’étude publiée dans la revue Nature en août. « Ils l’ont amené ici pour des analyses génétiques, et voilà, nous avons découvert qu’il s’agissait d’une fille de 13 ans qui avait un père dénisovien et une mère néandertalienne. Il semble que ces deux groupes ne voyaient pas beaucoup de différences entre eux, puisqu’il y a eu des accouplements. Mais ça ne devait pas être très fréquent, parce qu’il y aurait davantage de gènes néandertaliens dans les populations d’aujourd’hui. Ils ont habité les uns auprès des autres pendant des milliers d’années. »

Grand-mère néandertalienne

Avant la découverte de cette jeune fille hybride, l’exemple le plus frais des rencontres amoureuses entre différents hominidés avait été retrouvé dans la caverne de Peştera cu Oase en Roumanie. En 2015, des collègues de Mme Slon à Leipzig et des paléogénéticiens de l’Université Harvard avaient calculé que près de 10 % des gènes d’un fossile d’Homo sapiens retrouvé dans cette caverne étaient néandertaliens. « Ça signifie que l’arrière-grand-père de cet individu avait un père néandertalien et une mère Homo sapiens », explique Qiaomei Fu, qui était l’auteure de cette étude de 2015, en entrevue depuis Pékin. « Il se peut que des individus esseulés, parce qu’ils se sont perdus ou que les autres membres de leur groupe étaient morts, aient été recueillis par d’autres types d’hominidés. » Michael Staubwasser, paléoclimatologue de l’Université de Cologne qui a étudié plusieurs sites néandertaliens, est plus circonspect. « Nous n’avons trouvé aucun endroit où les artefacts néandertaliens et sapiens sont mélangés. Presque partout, c’est néandertalien dans la strate géologique en dessous, et l’homme moderne au-dessus. Le plus proche indice est composé de deux sites dans la région du Danube, distants de 50 km. Il se peut fort bien qu’ils aient habité les uns auprès des autres avec très peu d’interaction à part les accouplements sporadiques. »

Les Dénisoviens

Située dans le sud de la Sibérie, près de la triple frontière avec le Kazakhstan, la Chine et la Mongolie, la caverne de Denisova compte une vingtaine de couches paléontologiques distinctes, explorées depuis les années 70.

En 2010, une analyse allemande sur un doigt d’enfant a démontré qu’il appartenait à une nouvelle espèce d’hominidé, qui a été appelée « Dénisovien ». « On peut dire que ce sont des cousins du Néandertal, explique Mme Slon. Les Dénisoviens sont génétiquement différents des Néandertaliens à un degré trois fois plus élevé que si on compare un humain d’aujourd’hui avec un autre. » Seulement cinq individus dénisoviens ont été identifiés, avec un os ou une dent. « Nous avons trouvé des outils, mais nous ne pouvons pas pour le moment déterminer leur culture, parce qu’il y a des traces d’occupation néandertalienne de la même époque ou peu après. Tout ce qu’on sait, c’est que les Dénisoviens ont dû être présents dans tout l’est de l’Eurasie, parce que les populations de l’Océanie ont davantage de gènes dénisoviens. » Depuis Pékin, Qiaomei Fu cherche quant à elle d’autres sites dénisoviens. « Il doit bien y en avoir ailleurs en Asie de l’Est. »

Les gènes des bâtards

Depuis 2010, le Projet de génome néandertalien de l’Institut d’anthropologie évolutionniste où travaille Mme Slon à Leipzig a démontré que les gènes néandertaliens sont toujours présents chez l’humain aujourd’hui, à l’exception de l’Afrique subsaharienne. « Ce sont notamment des gènes impliqués dans la résistance au froid, explique Qiaomei Fu, en entrevue depuis Pékin. Pour ce qui est des Dénisoviens, ils ont un gène conférant de la résistance à l’altitude qui est présent chez les Tibétains d’aujourd’hui. » Ironiquement, le squelette néandertalien ayant généré l’ADN de plus haute qualité a été retrouvé dans la caverne de Denisova.

Au fil du temps

660 000 ans

Ancêtre commun des Néandertaliens, Dénisoviens et Homo sapiens

450 000 ans 

Ancêtre commun des Néandertaliens et Dénisoviens

430 000 ans 

Plus vieux site connu de l’homme de Néandertal ou d’un ancêtre immédiat, en Espagne

100 000 ans 

Homo sapiens sort de l’Afrique, premiers sites retrouvés en Israël

45 000 à 41 000 ans 

Homo sapiens arrive en Europe

41 000 ans 

Seul site dénisovien connu, en Sibérie

36 000 ans 

Dernier refuge connu du Néandertal, dans le sud de l’Espagne

22 000 ans 

Maximum glaciaire

9000 ans 

Début de l’ère néolithique, caractérisée par le passage de la chasse-cueillette à l’agriculture puis l’élevage, au Moyen-Orient

Sources : Nature, Université de Cologne

L’hiver s’en vient

L’une des hypothèses pour expliquer la disparition des Néandertaliens est leur extermination par l’homme moderne. Michael Staubwasser pense qu’il vient de prouver, dans une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), que ce n’est pas le cas. « Voilà 43 000 ans et 41 000 ans, nous avons observé des refroidissements de l’ordre de dizaines de degrés qui s’installent en un an ou deux et durent quelques décennies, dit M. Staubwasser. On passe de forêts à la steppe, la végétation ne peut s’habituer, et chaque fois on observe une disparition des établissements néandertaliens. » Peut-on faire une comparaison avec la fameuse phrase « Winter is coming » de la série Game of Thrones ? « Oui, c’est exactement ça, dit M. Staubwasser. Mais contrairement aux peuples de Game of Thrones, l’homme de Néandertal n’avait pas de conscience géographique, on n’a jamais trouvé de trace de migration, de campements temporaires. » Le paléoclimatologue allemand estime qu’il y a eu des dizaines de fluctuations climatiques aussi abruptes en Europe après 60 000 ans et jusqu’au maximum glaciaire d’il y a 22 000 ans. « Ça explique comment on a observé plusieurs vagues différentes de migration d’Homo sapiens en Europe. » Les glaciers ont avancé jusqu’au centre de l’Allemagne lors de la dernière ère glaciaire. M. Staubwasser a notamment travaillé avec deux des chercheurs roumains ayant travaillé sur la caverne où a été découvert l'Homo sapiens ayant 10 % de Néandertal, Virgil Dragusin et Bogdan Ocan.

Et les Cro-magnon ?

Dans la série Il était une fois l’homme, on explique que l’ancêtre de l’homme moderne, l’homme de Cro-Magnon, est arrivé en Europe après l’homme de Néandertal. Cette appellation est maintenant disparue au profit d’Homo sapiens. Car les squelettes et outils de silex découverts dans la grotte de Cro-Magnon, en Dordogne, sont ceux d’Homo sapiens, l’homme moderne. La grotte de Cro-Magnon a été découverte en 1868, 12 ans après le site de Néandertal en Allemagne, mais contrairement à neandertalis, le nom cromagnonensis n’a pas réussi à s’imposer. Cro en patois du Périgord signifie « trou » et Magnon était le nom de la famille propriétaire du terrain, selon le Musée national de préhistoire à Eyzies en Dordogne, qui fêtait cet été le 150e anniversaire de la découverte. Quant à Néandertal, il s’agit du nom de la vallée où les premiers fossiles ont été découverts en 1855, qui honorait le penseur allemand du XVIIe siècle Joachim Neumann. Neumann avait hellénisé sont nom de famille (qui se traduit par « nouvel homme », neander). Et « tal » signifie vallée en allemand.

Une expo à Paris

Depuis le début de l’année, le Musée de l’homme à Paris tient une grande exposition sur l’homme de Néandertal, qui fait le point sur les dernières avancées de la paléontologie à son sujet. On peut notamment y voir un mannequin néandertalien en vêtements d’aujourd’hui élaboré par l’artiste Élisabeth Daynès, ainsi que des toiles de la fin du XIXe siècle par le peintre académique français Paul Jamin, qui s’est inspiré des premiers travaux sur l’homme de Néandertal et celui de Cro-Magnon.

La géographie de l’homme des cavernes

Depuis quelques années, les études génétiques et climatologiques ont commencé à esquisser les grands mouvements de population et les points de contact entre hommes modernes, dénisoviens et néandertaliens. Voici un abrégé de paléogéographie de l’Homo sapiens.

Utiliser les emplacements de cette carte

https://www.eurekalert.org/multimedia/pub/160772.php

-Flèche de NE (Proche-Orient) à Goyet (Belgique) et à EAS (Chine)

40 000 ans

-Flèche de NE à Kostenki (Russie), ANE (Sibérie) et à El Miron (Espagne)

30 000 ans

-Flèche de Goyet à El Miron

25 000 ans

-Flèche de Kostenki à Villabruna (Italie)

15 000 ans

-Flèche de ANE et EAS vers l’Amérique (optionnel)

30 000 à 15 000 ans

Légende : À partir du Proche-Orient, premier refuge de l’homme moderne après sa sortie d’Afrique, plusieurs migrations ont eu lieu en Europe et en Asie. La sépulture d’une femme enduite d’ocre rouge, à El Miron dans le nord de l’Espagne, qui date de 19 000 ans, a par exemple une composition génétique au tiers d’une migration directe du Proche-Orient voilà 30 000 ans et aux deux tiers d’une migration plus récente d’une population similaire à celle du site de Goyet en Belgique.

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