OPINION

ÉVACUATIONS AÉROMÉDICALES DES ENFANTS Pour en finir avec le racisme systémique

La campagne #tiensmamain avait pour objectif de mettre fin à la pratique d’Évacuations aéromédicales du Québec (EVAQ) interdisant l’accompagnement parental lors des transferts pédiatriques urgents. Cette pratique touchait de façon disproportionnée les communautés inuites du Nunavik.

En faisant le bilan de la campagne un an après son lancement, on ne peut que se réjouir du fait que les enfants évacués par l’avion Challenger d’EVAQ – inuits ou non – sont maintenant accompagnés d’un proche.

Cependant, nous devons aussi nous demander pourquoi cette pratique a duré tellement longtemps, étant dénoncée par les communautés Inuit et autres intervenants depuis au moins les années 90.

En décembre 2017, nous avons envoyé une lettre à EVAQ et au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) articulant les multiples raisons justifiant la fin d’une telle pratique : soins cliniques axés sur l’enfant et la famille, enjeux éthiques, standards de soins, contexte historique des enfants autochtones arrachés à leurs familles, etc. Cette même lettre a été utilisée pour lancer la campagne publique en faisant la une de La Presse+ le 24 janvier 2018.

La réponse initiale de la part du MSSS était qu’aucun changement n’aurait lieu. Le ton a changé à la suite de la pression publique sans précédent engendrée par la campagne. Le 15 février, le ministre de la Santé d'alors, Gaétan Barrette, faisait l’annonce d’un changement, et ce dans un délai de quelques semaines.

Toutefois, pendant des mois, aucun enfant évacué par Challenger n’a été accompagné d’un proche.

Invité comme porte-parole de la campagne #tiensmamain, j’ai décrit la pratique qui perdurait comme un exemple de colonialisme médical lors de mon premier témoignage à la commission Viens en mars.

Plusieurs familles sont sorties publiquement pour dénoncer une énième promesse brisée envers les communautés autochtones. Amir Khadir, l’ancien député de Mercier, a interpellé le ministre de la Santé sur ces délais inacceptables lors d’une séance de la Commission de la santé et des services sociaux en invoquant justement le cas de Christina-Mae Munick, 2 ans, transférée seule de Kuujjuaq : « Si c'était un enfant de Westmount, c'est ça qu'on ferait ? »

En mai, un reportage du Devoir révélait qu’il n’y avait jamais eu de politique écrite interdisant l’accompagnement parental au sein d’EVAQ ou du MSSS ! Sur quelle base justifiait-on alors le refus systématique de l’accompagnement parental pendant toutes ces années ?

Stéréotypes coloniaux et racistes

Le rebondissement le plus fulgurant a eu lieu le 21 juin, Journée nationale des peuples autochtones, à la suite des propos révélés par Le Devoir et la CBC. Lors d’une visite dans un centre culturel de sa circonscription où il était interpellé par un citoyen qui suivait de toute évidence la campagne #tiensmamain, M. Barrette a reconnu que la pratique allait bientôt (enfin !) changer, mais il a fait une prédiction : il pouvait garantir qu’il y aurait au moins un cas, au cours des six mois qui allaient suivre, où les médias rapporteraient une situation où un proche serait empêché d’accompagner son enfant lors d’une évacuation aéromédicale du Nunavik pour cause d’ébriété, phénomène qui selon ses propos « arrive tout le temps ».

Les leaders autochtones ont exigé la démission du ministre, décriant ces propos comme perpétuant des stéréotypes coloniaux et racistes, et ont exprimé ouvertement leurs préoccupations quant à l'omniprésence de ce genre d'attitude au sein du gouvernement provincial, signe d’un réel racisme systémique.

Plus de six mois après les propos honteux de M. Barrette, sa prédiction se révèle fausse : il n’y a eu aucune nouvelle rapportant qu’un proche n’a pas pu embarquer dans le Challenger pour accompagner son enfant pour cause d’ébriété depuis le changement de pratique, instauré le 29 juin dernier.

De toute façon, l’enjeu n’a jamais été là. Même si l’ancien ministre a essayé d’utiliser les familles qui faisaient les frais d’une pratique draconienne comme boucs émissaires, la source du problème se situait au sein même du Ministère.

Il y a fort à parier que si cette pratique ne touchait pas les communautés inuites du Nunavik de manière disproportionnée et que si les appels au changement ne provenaient pas de ces mêmes communautés depuis des décennies, l’issue aurait été tout autre.

Tout au long de la campagne #tiensmamain, l’objectif n’était pas de montrer du doigt des individus spécifiques, mais plutôt de comprendre l’enjeu comme découlant du racisme enraciné au sein d’un système dont on a certes hérité, mais qui va continuer à se perpétuer si nous faisons le choix de ne pas y faire face.

En faisant référence au plan stratégique triennal de l’Ontario contre le racisme dans leur brochure Le racisme systémique... parlons-en !, la Ligue des droits et libertés explique que l’attitude qui découle du racisme systémique « n’est pas toujours intentionnelle et ne signifie pas nécessairement que le personnel de l’organisme concerné est raciste ».

Cependant, quand un ministre de la Santé tient des propos véhiculant des clichés racistes anti-autochtones en toute impunité, il faut se demander à quel point de telles perspectives sont aussi enracinées dans les autres ministères et institutions devant servir le public de façon équitable et transparente.

Maintenant que la Coalition avenir Québec est au pouvoir, va-t-elle élaborer des mesures pour éradiquer ce fléau ? Si on se soucie véritablement de la justice sociale, la réponse devrait être évidente.

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