Homosexualité au hockey

Quatre voix qui font la différence

À peine une poignée de personnes ont fait de la lutte contre l’homophobie au hockey leur cheval de bataille. Portraits de trois courageux et d’une courageuse qui ont tenté de faire changer les mentalités.

UN DOSSIER DE SIMON-OLIVIER LORANGE

Brendan Burke

Le pionnier

Il n’avait que 20 ans, ne jouait déjà plus au hockey, mais a marqué pour toujours l’histoire du sport.

Jeune gardien de but ayant grandi dans la région de Boston, Brendan Burke était précédé par son nom de famille, rendu célèbre par son père Brian, l’une des personnalités les plus en vue de la LNH.

Brendan avait accroché ses jambières à l’aube de sa dernière année au secondaire. La raison : il ne se sentait plus capable de cacher son homosexualité à ses coéquipiers. Toujours amoureux du hockey, il a poursuivi ses études à l’Université Miami, en Ohio, qui possède l’un des meilleurs programmes de la NCAA. Là-bas, il a été embauché comme étudiant-gérant (student manager).

Même s’il n’était pas sur la glace, le jeune Burke est devenu un membre à part entière de l’équipe, grâce notamment à la « confrérie » (brotherhood) mise en place par l’entraîneur Enrico Blasi.

Au printemps 2009, en plein Frozen Four, championnat du hockey universitaire américaine, Brendan s’est confié à un coéquipier. Puis à son entraîneur, et au reste de l’équipe. Jamais il n’aurait pu s’attendre à autant de solidarité.

« On a d’abord été surpris, mais rapidement, on a été heureux de savoir qu’il se sentait assez à l’aise pour ainsi s’ouvrir à nous, se rappelle Tommy Wingels, ami de Brendan et membre des RedHawks de l’Université Miami cette saison-là.

« Ça lui a enlevé une tonne de pression de constater que le lendemain, rien n’avait changé entre lui et nous. »

— Tommy Wingels, ami de Brendan Burke

« Je crois que cet événement a donné envie à tout le monde dans l’équipe de devenir de meilleures personnes », explique en entrevue Enrico Blasi, qui est toujours entraîneur de l’équipe.

« Encore aujourd’hui, après toutes ces années, c’est un élément fondamental de notre programme : traitons tout le monde comme nous voulons être traités. »

Au cours des mois qui ont suivi, Brendan Burke a poussé l’initiative encore plus loin en sortant publiquement du placard. Son histoire a d’abord été racontée par le journaliste John Buccigross, d’ESPN, qui a retracé toute la démarche de Burke – notamment l’angoisse de se confier à son père Brian.

Même s’il n’était qu’un étudiant-gérant d’une équipe universitaire, le jeune homme est devenu une icône : pour la première fois, la planète hockey voyait l’un des siens avouer son homosexualité.

En février 2010, Brendan Burke a perdu la vie dans un accident de la route. Sa mort a causé une commotion aux quatre coins de l’Amérique. Son père Brian est demeuré un défenseur des droits des gais et lesbiennes. Et afin que son héritage ne soit jamais oublié, son frère Patrick a cofondé You Can Play, organisme visant l’acceptation des athlètes LGBT dans le sport.

Tommy Wingels et Enrico Blasi figurent encore au nombre des administrateurs de You Can Play. Et même s’ils n’ont pas aligné un joueur ouvertement homosexuel depuis Brendan Burke, les RedHawks continuent de prôner la même vision que lorsqu’ils comptaient sur Burke.

« Je ne m’étais jamais vraiment interrogé sur l’idée d’avoir un joueur homosexuel, avoue Blasi. C’est en côtoyant Brendan que je suis devenu conscient des enjeux que ça représente pour les athlètes. Cette conscience est devenue un élément fondamental dans nos vies. Et ça n’a plus jamais changé. »

Brock McGillis

Des années dans le secret

Pour l’essentiel, l’histoire de Brock McGillis est calquée sur celle de milliers de jeunes hockeyeurs canadiens.

Il naît à Sudbury et grandit dans une famille passionnée par notre sport national. Gardien de but aux statistiques un peu ronflantes dans les rangs mineurs, il accède néanmoins à la Ligue junior de l’Ontario, où il disputera une poignée de matchs au début des années 2000.

Mais une chose différencie Brock de ses coéquipiers. Comme eux, il fréquente des filles de son âge – « j’étais même un womanizer, je n’en suis pas très fier » –, mais il cherche avant tout à masquer son attirance pour les hommes.

« À cause de tout ce que j’entendais dans le vestiaire et sur la glace, je ne pouvais pas être moi-même. »

— Brock McGillis

Après son stage junior, il tente sa chance dans des équipes professionnelles de bas calibre, aux États-Unis puis en Europe.

Ces évasions ne règlent en rien le mal-être de ses années juniors. À La Haye, aux Pays-Bas, il noue secrètement une relation avec un homme. « Je voyais des filles pendant la saison et mon copain pendant l’été. Personne ne le savait. Personne. »

Désirant retourner sur les bancs d’école, il s’inscrit à l’Université Concordia et défend le filet des Stingers pendant quelques matchs en 2009-2010.

Cette saison-là, une rencontre change sa vie.

En regardant un match à la télévision, il voit Brendan Burke en entrevue.

« C’est la première fois que j’entendais quelqu’un s’exprimer ainsi dans notre sport, dit-il. J’ai communiqué avec lui et nous sommes devenus des amis. C’était une véritable libération de trouver quelqu’un à qui parler. »

Un bon matin, Brendan Burke lui envoie un texto : « J’ai très hâte au jour où tu pourras te confier à ta famille comme je l’ai fait avec la mienne. » Terrorisé par l’idée, Brock ne répond pas. Deux jours plus tard, Burke perd la vie.

McGillis reçoit la nouvelle comme un électrochoc. Il s’ouvre d’abord à son frère Cory, qui est aussi son coéquipier à Concordia. « Et alors ? Je t’aime, c’est tout ce qui compte », lui répond son cadet. Le soulagement est total. Le soutien est le même chez les autres membres de sa famille.

Néanmoins, alors qu’il accroche ses patins pour se tourner vers le métier d’entraîneur, McGillis garde secrète son orientation sexuelle dans son milieu de travail. La rumeur fait toutefois son chemin, et des associations de hockey lui tournent le dos, de peur de ternir leur image auprès des jeunes athlètes et de leur famille.

Tournant

Puis, en 2016, survient la tuerie au bar gai Pulse, à Orlando, où 49 personnes sont abattues. Cette fois, c’en est trop.

« C’est là que j’ai décidé de sortir du placard pour de bon. »

Depuis ce temps, il voyage, donne des conférences dans des écoles, rencontre des équipes de hockey pour discuter de l’inclusion des athlètes LGBT.

Des joueurs de tous les âges se sont confiés à lui. De jeunes hommes qui s’interrogent sur leur sexualité, d’autres qui se reconnaissent dans son histoire. « Mais il y a aussi beaucoup de gars hétéros qui viennent me voir. Ils me disent qu’ils comprennent à quel point ils doivent changer leur manière de parler, d’agir. »

Les témoignages, dit-il, l’encouragent à continuer. Et le laissent rêver que plus jamais, comme lui, un jeune homme ne rentrera de l’aréna avec l’idée de mettre fin à ses jours.

Charline Labonté

« Si on gagne, je fais mon coming-out »

Elle venait de remporter sa quatrième médaille d’or olympique. Désormais aussi connue que les grandes vedettes masculines, elle était au sommet de sa carrière. Le 11 juin 2014, la gardienne Charline Labonté a dévoilé publiquement qu’elle était gaie.

Moins de quatre mois après les Jeux de Sotchi, elle ne voyait pas de meilleur moment pour faire cette sortie.

En cette année olympique, la persécution dont sont victimes les homosexuels en Russie a été largement médiatisée. Et aux yeux de la hockeyeuse, dont tous les proches connaissaient l’orientation sexuelle, une prise de parole publique devenait la réponse la plus forte.

« Je me trouvais hypocrite de juger une culture que je ne connaissais pas, alors qu’ici aussi, il y a encore du chemin à faire », relate celle qui a pris sa retraite du hockey l’an dernier.

« Je n’en ai parlé à personne, mais je me suis dit : si on gagne aux Jeux, je fais mon coming-out. Et comme on a gagné… »

Pour cette femme discrète, se retrouver seule sous les projecteurs, loin de la glace, avait quelque chose de terrifiant. Mais le jeu en a valu la chandelle, ne serait-ce que pour la vague d’appuis qu’elle a reçue de partout dans le monde.

Long parcours

N’empêche, cette sortie arrivait au terme d’une très longue route, qui l’a d’abord obligée à affronter ses propres préjugés.

« J’étais la pire des homophobes. Pourtant, je viens d’une famille d’artistes, où on accepte tout le monde ! C’était complètement stupide. »

— Charline Labonté

Jusqu’à la fin de l’adolescence, elle n’a joué qu’avec des garçons. Elle est encore aujourd’hui l’une des deux seules filles à avoir accédé à la LHJMQ. Et elle y trouvait pleinement son compte, redoutant même le hockey féminin et ses clichés tenaces qui veulent que toutes les joueuses soient gaies.

C’est à ses débuts avec le programme olympique canadien qu’elle a commencé à côtoyer certaines joueuses lesbiennes. Et elle a été déstabilisée dans ses croyances.

« Je découvrais un nouveau monde, ouvert ; j’avais soudain des amies gaies, affichées. »

« Petit à petit, je suis devenue un peu curieuse, mais j’avais peur. Vers 21 ans, j’ai eu ma première blonde. Mon pire coming-out, c’est celui que j’ai dû faire à moi-même, comprendre ce que ça voulait dire. Je pleurais, je ne voulais pas que ça m’arrive. Mais finalement, j’ai juste décidé de vivre ma vie, de voir ce qui allait se passer, ce qui me rendrait le plus heureuse. »

Le pari a visiblement payé. Déjà, à son entrée à l’Université McGill, elle sensibilisait ses coéquipières à un vocabulaire épuré des remarques homophobes.

Et à 36 ans, même si elle ne joue plus, Charline Labonté demeure un modèle pour les jeunes athlètes, garçons et filles, de tous les horizons.

Elle constate que dans le hockey féminin, les malaises fondés sur l’orientation sexuelle sont essentiellement chose du passé.

« Quand on rencontre une nouvelle coéquipière, on lui demande : t’as un chum ou une blonde ? On n’assume rien, on ne tient rien pour acquis. Ça, c’est un environnement inclusif. »

Et surtout, elle s’épate de la prochaine génération de joueuses, qui semble résolument être passée au prochain appel, « des jeunes de 14 ou 15 ans qui s’affichent sur Instagram avec leur blonde ». « C’est incroyable combien elles sont ouvertes ! », s’exclame-t-elle.

C’est ce qui lui donne espoir qu’un jour, peut-être, le volet masculin affichera la même ouverture.

Andrea Barone

Les préjugés au banc des punitions

Ce n’est pas tous les jours que le quotidien le plus prestigieux du monde consacre une page entière à un arbitre. Montréalais. Qui travaille dans un circuit inférieur à la Ligue américaine.

C’est pourtant ce qui s’est passé lorsqu’Andrea Barone s’est retrouvé au cœur d’un long reportage du New York Times le printemps dernier.

L’article raconte l’histoire du jeune homme aujourd’hui âgé de 29 ans. Celle d’un ex-joueur qui n’a jamais nourri l’ambition d’atteindre les grandes ligues avec un bâton. Mais qui rêve ouvertement de le faire sifflet à la main.

Cette histoire, c’est surtout celle du seul acteur actuel du hockey professionnel masculin à avoir dit au monde entier qu’il était homosexuel. Et qui continue d’exercer sa profession dans la Ligue de la côte est (ECHL).

Barone adore le hockey, qui lui permet de gagner sa vie. Mais pas un moment, il ne s’ennuie du vestiaire des joueurs.

« Jusqu’à 21 ans, je ne savais pas que j’étais gai, mais je savais que j’étais différent », raconte-t-il à La Presse.

« Comme joueur, je n’ai jamais aimé cette culture macho, les partys, les bros, les filles… Même si j’avais été straight, je n’aurais pas été heureux là-dedans. »

Repartir à zéro

À la fin de l’adolescence, une épreuve laisse chez lui une marque qui le suivra à jamais : il est témoin de la tuerie du collègue Dawson en 2006. Aux prises avec un syndrome de choc post-traumatique, et luttant avec son identité sexuelle, il déménage à Vancouver en 2011 afin, dit-il, de repartir à zéro.

Dans l’Ouest, il révèle son homosexualité à ses proches. Famille et amis l’appuient pleinement. Parallèlement, il se prend de passion pour l’arbitrage, gravissant les échelons jusqu’à la Ligue junior de l’ouest (WHL).

Puis l’occasion se présente de faire le saut chez les professionnels, et il ne la rate pas. Le voilà donc aujourd’hui dans sa quatrième saison dans la ECHL.

Dès son embauche, il met cartes sur table avec ses patrons, qui ne se formalisent pas de cette révélation. Dans les semaines qui suivent, Andrea dévoile publiquement son orientation sexuelle sur le site Outsports. Désormais, la planète hockey sait.

Sur la glace, les choses se passent plutôt bien. Mais tout n’est pas parfait. Loin de là.

Un soir d’avril 2017, à Salt Lake City, un entraîneur en furie lui adresse une insulte homophobe. En pleines séries éliminatoires, la ligue décide de ne lui imposer qu’une amende.

Barone se sent trahi. Pendant la saison morte, il songe à abandonner le hockey. Mais il décide de persister et de s’accrocher à son rêve d’accéder à la LNH.

« Parfois je suis encouragé des changements que j’observe, d’autres fois je suis complètement découragé. Ça dépend des jours », confie l’arbitre.

Un an et demi plus tard, il se désole toujours que la ligue ne l’ait pas davantage défendu.

« Je ne dis pas que la ligue est homophobe, mais c’est toujours la même chose : vous nous soutenez en privé, mais en public, c’est le hockey qui prime », déplore Andrea Barone.

En attendant qu’on lui offre sa chance dans la Ligue américaine, dernier rempart qui le sépare de la LNH, le Montréalais continue de faire son travail dans les arénas des quatre coins de l’Amérique.

En souhaitant qu’une fois pour toutes, son sport lui rende tout l’amour qu’il lui porte.

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