À ma manière

Pourquoi j’ai quitté l’empire Star Wars ?

Chaque semaine, une personnalité du milieu des affaires nous raconte dans ses mots une page de son histoire.

Qui ? Yanick Dusseault, nouveau directeur artistique et coactionnaire de Raynault FX, un studio d’effets visuels montréalais qui a contribué à plusieurs films prestigieux comme Arrival et Ghost in the Shell, de même qu’à plusieurs épisodes de La guerre des étoiles.

Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas pris de vacances.

Le 19 janvier dernier, j’ai quitté mon poste de directeur artistique chez Industrial Light & Magic (ILM).

À ce moment de ma carrière, après 18 ans au service de la boîte d’effets spéciaux derrière les films de La guerre des étoiles, je me trouvais exactement là où je voulais être : au top du top.

Dans ce que je fais comme métier, comme directeur artistique dans le monde du film, j’étais au top. Je travaillais avec une équipe au top, sur des projets top top top.

Pour aller plus loin, il aurait fallu que je change de poste, que je change de métier.

J’ai travaillé sur tous les chapitres de La guerre des étoiles depuis l’Épisode III : La revanche des Sith.

Lorsque Disney a racheté la franchise et lancé la nouvelle trilogie, en 2012, j’ai fait partie de la petite équipe de départ – on était seulement trois ou quatre personnes – qui s’est simplement demandé : qu’est-ce que tu veux voir dans le prochain Star Wars, toi ?

Pendant six mois, on a créé des images, des ambiances, avant même que le réalisateur J.J. Abrams et le scénariste Michael Arndt, gagnant d’un Oscar, se joignent à nous. Les possibilités étaient grandes ouvertes.

Dans le septième épisode, l’Étoile de la mort, c’est moi. Enfin, le design définitif de l’Étoile de la mort qui a été retenu par la production, c’est moi qui l’ai créé.

Un de mes plus beaux souvenirs chez ILM, c’est d’avoir pu travailler avec Dennis Muren, qu’on appelle dans le milieu le « parrain des effets spéciaux ». Il était du tout premier Star Wars, Un nouvel espoir. Il a fait Terminator 2, Le parc jurassique avec Steven Spielberg. C’est vraiment lui qui a créé l’industrie des effets visuels. C’est ce qui est incroyable chez ILM : tu vas manger à la cafétéria et Denis Murren s’assoit à côté de toi et te demande des nouvelles de ta famille…

Je ne peux pas dire que les journées de travail étaient si longues, mais elles étaient très intenses. On sortait de notre réunion de production à midi, puis on avait cinq heures pour créer, disons, dix images. Et on avait intérêt à ce qu’elles soient bonnes, sous peine de se faire renvoyer. Sans blague ! Ça arrivait tout le temps ! Il y a plein de gens qui ont disparu en cours de route. Nous ne sommes que deux ou trois qui sont restés jusqu’à la fin de la production.

Bref, je ne sais pas pourquoi je n’ai pas pris de vacances.

J’ai quitté ILM le vendredi, et le lundi suivant, j’entrais chez Raynault FX comme directeur artistique, concept artist et matte painter1, mais surtout comme partenaire.

Raynault FX est un studio d’effets visuels situé sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal, que mon ami Mathieu [Raynault] a fondé en 2011.

Ils comptent à peine une trentaine d’employés, mais ils travaillent sur de gros films. Je reviens tout juste de New York, où je suis allé faire du développement visuel sur le premier volet d’une nouvelle franchise du studio Lionsgate. On bosse fort présentement sur un thriller surnaturel de la Paramount et une autre très, très grosse production américaine qu’on ne peut nommer en raison de notre entente de confidentialité. On planche aussi sur des projets de télésérie, dont Tom Clancy’s Jack Ryan, produite par Amazon, et on vient de terminer une mégaproduction pour Netflix : le remake de Lost in Space. Ça roule !

Mathieu et moi, on se connaît depuis 20 ans, on a travaillé ensemble sur la trilogie du Seigneur des anneaux, on est des partenaires de snowboard, de surf, de skate…

Il m’avait déjà offert dans le passé de devenir son associé. Et je l’ai toujours un peu regretté. Je me disais que j’avais peut-être manqué une occasion.

J’aurais pu continuer à essayer de faire les plus belles images possible chez ILM. Mais il me manquait quelque chose. Je ne cherchais pas à travailler sur des projets qui soient simplement meilleurs. J’avais besoin de croire en une idée, un produit, une équipe. Alors que chez ILM, tout le monde agit plus en solo.

Aujourd’hui, je travaille non seulement sur des images de film, mais aussi sur l’image de notre entreprise en tant que telle. Quel visage veut-on montrer à nos clients ? Comment veut-on se présenter ? Je peux m’attarder avec Mathieu à une foule de petits détails de gestion, de budget, qui ne me concernaient pas auparavant.

J’imagine que c’est ça, le sentiment d’être le propriétaire de son entreprise, un sentiment qui aurait été impossible chez ILM.

On fait toujours de la sauce tomate. Mais là, c’est notre sauce tomate.

1. Un concept artist pond les images de départ, les ébauches, les sketchs, qui vont servir à développer les idées et alimenter la réalisation, tandis qu’un matte painter produit l’image finale. Il fait en sorte que le château ou le paysage ou la planète où se déroule l’action est le plus beau et le plus réaliste possible.

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