Chronique

Marche, Johnny, marche

Jean-David Pelletier marche 30 kilomètres par jour sur la 132 et sur la 138, direction Rimouski. Pourquoi Rimouski ? Il voulait partir de Montréal, faire 30 kilomètres par jour pendant 30 jours. Ça donnait Rimouski comme destination. Ce sera le printemps, se disait Jean-David, le temps sera plus doux.

« Mais c’est le pire mois d’avril de ma vie ! Si j’étais parti en février, j’aurais eu le même temps. Deux tempêtes de neige, du verglas, du grésil et du vent… Du vent ! »

J’ai joint Jean-David, alias Johnny-D, au téléphone hier, à La Pocatière. Il prévoit arriver à Rimouski vendredi prochain, le 27.

« C’est quoi, le pire, Johnny, le verglas ou la neige ?

— Le grésil ! Avec un vent de face à 80 km/h, le grésil, ça peut t’égratigner une cornée, c’est comme une tempête de sable… »

Jean-David Pelletier a fait une escale au Salon du livre de Québec pour la promotion de son livre La folle tournée de Johnny-D qui relate un autre trek, celui qu’il a fait de Rome à la Sicile début 2016, 1047 kilomètres dans les campagnes italiennes, après avoir fait le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Tant qu’à marcher jusqu’à Rimouski et à documenter l’aventure sur sa page Facebook, Jean-David a décidé de faire œuvre utile et de transformer son trek vers Rimouski en campagne de financement pour la Fondation Jeunes en tête, qui a pour but de prévenir la détresse psychologique chez les jeunes de 11 à 18 ans. Objectif : 10 000 $.

« Je sais c’est quoi, être aux prises avec la maladie mentale à l’adolescence. À 13 ans, j’étais en désintox. À 14, j’étais en centre d’accueil. Je te dis, dans les tempêtes, sur le bord de la 132 et de la 138, si j’avais pas eu la cause de Jeunes en tête, j’aurais viré de bord… »

***

Johnny-D est donc en route. Klaxonnez si vous le croisez, avec son chien Billibob, son fidèle compagnon depuis 13 ans. Billibob l’a accompagné partout : en tournée avec Cavalia, dans les bureaux de Juste pour rire, dans les hauts, dans les bas…

« Je n’ai pas traîné Billibob en Italie et je l’ai regretté. Je m’ennuyais de lui, chaque jour. C’est pour ça que j’ai voyagé avec un âne, parce que je m’ennuyais de Billibob.

— Attends… Un âne ?

— Oui, j’ai loué un âne en Italie ! »

C’était en Sicile, où il semble que ces bêtes-là sont à louer pour accompagner les marcheurs, et c’est ainsi que Johnny-D a loué un âne du nom de Taco pour marcher pendant trois jours : « J’avais, dit-il, une idée romantique, celle de marcher dans les plaines siciliennes, côte à côte avec mon âne… »

Chiara, la locatrice, a prévenu Johnny-D : un âne, c’est con.

Mais Johnny-D était accroché à la carte postale romantique dans sa tête – lui et l’âne communiant dans les plaines siciliennes – et il est parti avec l’âne…

« Et un âne, en effet, c’est vraiment con. Ça arrive devant une flaque d’eau et ça peut mettre cinq minutes à penser comment ça va contourner la cr*** de flaque. D’habitude, ça me prend six heures, marcher 30 kilomètres. Avec Taco, ça m’a pris 12 heures, le premier jour. Et un âne, ça a peur de tout… »

L’âne a pris peur quand lui et Johnny ont été attaqués par un chien. Dans la cohue, notre marcheur a échappé le licou de Taco, qui s’est sauvé dans la plaine sicilienne.

Pas moyen de le rattraper. Jean-David tentait de l’attirer, lui criait après, tentait de l’amadouer… Mais l’âne se sauvait encore plus loin.

« Trois heures à courir après Taco, se remémore-t-il. J’en pouvais plus. C’était burlesque. J’ai fini par le rattraper, mais là, il refusait d’avancer. En fait, il avançait juste quand j’étais devant lui.

— Quand tu lui faisais face ? !

— Oui. Je suis rentré à la ferme en faisant du moonwalk… »

Mais à quelque chose malheur est bon, comme a dit un vieux Sicilien, et Taco l’âne a mené Jean-David dans le village de Scoglitti, sur la côte ouest de la Sicile, où Johnny-D a rencontré Gaetano, qui est devenu un ami pour la vie, « un pèlerin de compétition, qui a fait Compostelle, la muraille de Chine », Gaetano qui lui a refilé quelques beaux sentiers tracés par les Grecs.

Faque Jean-David s’est fait tatouer Taco l’âne de Sicile sur l’avant-bras.

***

Son métier, c’est relationniste. Il « gère » les médias pour des clients.

Vous vous souvenez du sapin laid du Quartier des spectacles ?

C’est Jean-David qui a « géré » les relations publiques de ce sapin-fiasco.

Il en est sorti un peu vidé pour plein de raisons et le trek de trois mois en Italie était une façon de se nettoyer le système. Il rêvait de la Via Francigena, un réseau de vieilles routes parfaites pour marcher dans ce pays où il avait habité dans la vingtaine…

« Marcher comme ça, Johnny-D, c’est comme rien, tu dois fuir de quoi…

— Non. Au contraire. Quand tu marches, tu réfléchis en tabarouette. J’ai plus l’impression de marcher vers quelque chose…

— Vers quoi ?

— Marcher comme ça, c’est libérateur. Tu réapprends à vivre lentement. En marchant, je répare des choses. »

Jean-David ne fuit donc rien en marchant vers Rimouski, sinon peut-être quelque chose comme une petite peine en suspens, l’anticipation d’une douleur inévitable, celle du deuil de Billibob.

« Billibob a 13 ans et ce trek, c’est un peu notre dernier voyage, les adieux qu’on se fait… »

À Rimouski, le 28, Johnny-D se fera tatouer la patte de Billibob sur l’avant-bras.

DE L’IMPORTANCE DES VERBES

Reçu : plusieurs messages de lecteurs déçus d’un passage de ma chronique « Larguer Facebook ? » publiée jeudi, passage qui se lisait comme suit : « Dans ce débat, il y a les inévitables nostalgiques qui se vantent de ne pas avoir de téléphone intelligent. Je dis qu’ils se vantent parce que leur posture me fait penser aux douchebags qui vont flasher leurs abdos à la plage d’Oka… »

Et là, plein de lecteurs et de lectrices, binaires mais pas forcément non plus, m’écrivent pour se dire insultés, ils n’ont pas de téléphone intelligent, je ne vous pensais pas de même, M. Lagacé…

Je ne voulais pas offenser les gens qui n’ont pas de téléphone intelligent, juré, craché : je voulais taquiner les gens qui s’en vantent, vous savez, les gens qui voient un iPhone et qui vous disent qu’eux n’en ont pas, de téléphone intelligent, ark !

C’est un peu comme les végétariens. Je n’ai rien contre les végétariens, au contraire, je crois que le végétarisme est bon pour la planète et pour les artères. J’en ai contre les végétariens que vous ne connaissez pas, qui vous serrent la main et qui vous annoncent tout bonnement qu’ils sont végétariens avant d’avoir lâché votre main.

Euh, OK, là je sais jamais quoi dire… « Bravo ? »

Un jour, je suis allé dans une boutique, la vendeuse m’a salué, dix-quinze secondes d’échange de platitudes client-vendeuse, puis, boum, la confession : « Je suis végétarienne. »

Ironie : nous étions dans une boutique de manteaux de cuir. Savez-vous d’où ça vient, le cuir ?

Bref, si vous n’avez pas de téléphone intelligent, je vous aime quand même. Mais si vous n’avez pas de tablette, je ne sais pas, j’y pense encore.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.