Une course qui change tout

Qu’y a-t-il au bout de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, cette épreuve de 170 kilomètres au dénivelé positif de 9600 mètres entre les Alpes françaises, italiennes et suisses ? De la joie, de la fatigue, de la fierté ? Un peu de tout ça, et plus encore dans le cas du Québécois Mathieu Blanchard, qui a pris le 13e rang de l’épreuve, le week-end dernier.

Sur l’un des plus beaux terrains de jeu au monde, le Montréalais d’adoption Mathieu Blanchard a fait jeu égal avec l’élite de la planète et a peut-être poussé les dernières portes qui le séparaient du professionnalisme.

« L’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB), ce n’est pas rien. C’est la plus grosse vitrine internationale, et Mathieu a bien fait alors que plusieurs élites ont abandonné. Avec cette 13e position, il est bien placé pour aller solliciter des marques », explique Vincent Champagne, rédacteur en chef de Distances+, un magazine web spécialisé dans la course en sentier et les ultramarathons.

Mais n’allons pas trop vite et revenons au début. Entendez-vous cette musique qui se répand dans le centre-ville de Chamonix ? Ce sont les premières notes de la Conquête du paradis de Vangelis qui précèdent le départ de cette folle aventure. « Il pleut un petit peu à ce moment-là, décrit Blanchard, 30 ans, qui s’est mis au trail en 2016. J’essaie de ne pas trop penser pour ne pas me stresser. Mais je me dis quand même : “Wow, Mathieu, ça y est, tu es à l’UTMB. Quelle fierté d’être là et même si tu ne finis pas, sois heureux.” »

Après huit kilomètres de plat où il se retrouve aux avant-postes, Blanchard aperçoit les premières montées du Délevret, annonciatrices d’un programme contenant notamment 10 cols à plus de 2000 mètres. Il joue la carte de la prudence tandis que bien des vedettes de la discipline, à commencer par l’Américain Jim Walmsley, partent trop vite. Le grand Kilian Jornet, triple vainqueur de l’épreuve, est quant à lui victime d’une réaction allergique après une piqûre d’abeille.

« À la première montée, je les ai tous laissé partir. J’ai relâché mon rythme en pensant à mon objectif premier, soit celui de finir l’UTMB. Je me disais aussi que j’accélérerais vers le 120e ou 130e kilomètre si j’avais encore de bonnes forces et un mental solide. C’est ce qui s’est produit. »

Blanchard grignote effectivement des places au cours de la nuit de vendredi à samedi. Mais ce n’est que vers le 125e kilomètre qu’il ose demander son classement. La réponse le motive : 25e. Le rêve d’un top 20 n’est plus si loin. Il finit finalement au 13e rang avec, symboliquement, un temps en deçà des 24 heures (23 heures, 53 minutes et 2 secondes).

« On n’était pas surpris qu’il se classe parmi l’élite. Je m’attendais à un top 30, peut-être un top 20, mais on est tous soufflés par cette 13e place », raconte Champagne, qui était à Chamonix pour l’occasion.

« Mathieu, c’est un athlète dans une catégorie à part au Québec. Il a vraiment un talent sportif et génétique particulier, ainsi qu’une belle intelligence de coureur. Il est capable de bien organiser son entraînement, sa gestion de l’effort, sa nutrition et son sommeil. Il a une mentalité structurée d’ingénieur. »

— Vincent Champagne, rédacteur en chef du magazine Distances+

Il possédait une motivation supplémentaire pour franchir la ligne d’arrivée de cet UTMB. Dans les moments plus difficiles – et ils sont nombreux durant un ultra –, Blanchard avait une pensée pour son petit frère Lucas, amputé d’une jambe après un accident l’hiver dernier.

« Dès sa sortie de l’hôpital, je lui avais dit que je courrais l’UTMB et je voulais qu’il soit capable de courir les derniers mètres avec moi. Il s’est pris au jeu, il s’est mis à courir et à faire du vélo. Alors, quand ça allait moins bien pendant la course, je me répétais : “Lucas t’attend à l’arrivée.” Ça m’a boosté énormément et j’étais tellement fier de voir son sourire à la fin. »

Parmi les 2300 participants de l’UTMB, on retrouvait une quarantaine de coureurs professionnels. Blanchard, lui, doit conjuguer son métier d’ingénieur et sa passion de la course, qui l’occupe six jours par semaine. Et les compétitions ?  Depuis plus d’un an, elles n’engendrent aucune dépense grâce à son commanditaire Salomon, qui paye les déplacements, et aux invitations des organisateurs. Ce classement à l’UTMB pourrait quand même le faire basculer dans une autre dimension.

« Ce 13e rang dit que, moi aussi, j’ai un niveau qui, potentiellement, me permettrait d’être professionnel. Je ne sais pas si j’ai encore tout dirigé, mais je sais qu’il va peut-être me permettre d’ouvrir des portes plus concrètes vers la professionnalisation », dit-il en pleine connaissance des implications d’un tel changement.

« Je sais que c’est particulier à 30 ans. J’ai une belle vie, un bon travail, mais je le sens, au fond de moi, que c’est vers là que je dois m’orienter. Si ça fonctionne, je serais heureux de le faire. Ce serait quelques années d’aventure. Je suis encore jeune, je n’ai pas d’enfants, je suis encore vigoureux, alors si je le fais, c’est maintenant. »

Une découverte tardive

Originaire de Cavaillon, à quelques kilomètres d’Avignon, Blanchard a beaucoup voyagé au gré des déplacements familiaux, des études, puis du travail. Après un passage par Paris, l’ingénieur s’est retrouvé à Montréal en 2014. Une promenade hivernale sur le mont Royal, où il a vu de nombreux coureurs bravant le froid, a eu l’effet d’un déclic. En attendant des températures plus clémentes pour la pratique de sports plus familiers, Blanchard s’est mis à courir.

« Ça a été une révélation, comme quand on rencontre la bonne compagne. Il y a eu un coup de foudre. Ça a créé des sensations en moi. Je suis allé courir sur la neige et je me suis totalement passionné pour ce qui devait être une transition, une activité dans l’attente de trouver un autre sport. »

La progression a été fulgurante : un premier marathon, un deuxième où il passe sous la barre des trois heures, puis la transition vers les ultras. Depuis 2016, son palmarès comprend notamment des victoires à l’Harricana (80 kilomètres), au North Face Endurance Challenge (New York), au GORE-TEX Transalpine-Run (Alpes) en duo avec Mariane Hogan, à la TransMartinique, ainsi qu’aux Traces du Nord Basse-Terre (Guadeloupe).

« Dans les derniers mois, il y a eu beaucoup de gens qui ont commencé à me suivre sans que je m’en rende compte, reconnaît-il. Et finalement, ils ont suivi de près ma semaine en France à l’UTMB. Même pendant la course, je sais que certains n’ont pas dormi pour me suivre. Depuis mon retour au Québec, j’ai reçu plein de messages et de sollicitations. Je suis content parce que j’aime courir pour moi, mais j’aime aussi le partage. Ça me fait vraiment plaisir quand quelqu’un me dit que je l’ai inspiré à bouger. »

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