Éditorial COVID-19

Vers la démondialisation ? C’était déjà commencé.

La COVID-19 entraînera une « démondialisation », a anticipé cette semaine François Legault. Il aurait pu aller plus loin. Car ce phénomène, il avait déjà commencé.

La crise risque ainsi moins de provoquer un renversement que d’accélérer une tendance en cours.

Où sera le monde dans les prochains mois, dans les prochaines années ? On l’ignore, évidemment. On ne veut pas jouer au futurologue et on ne prétend pas non plus offrir ici un portrait complet des inconvénients et des avantages de la mondialisation.

Essayons plutôt de comprendre les forces en marche.

La mondialisation est un phénomène à la fois juridique, commercial, politique et social. Elle réfère aux règles du libre-échange (OMC, traités régionaux et bilatéraux), aux pratiques des entreprises (délocalisation des activités) et des gouvernements, aux habitudes de consommation et aux impacts sur les conditions de travail.

Le tout peut se ramener à une idée : l’extension de la logique du marché dans la société. C’est ainsi, par exemple, que la protection de notre culture est devenue une exception nécessitant des clauses spéciales dans les accords commerciaux.

L’âge d’or – ou la période sombre, selon la perspective – de cette mondialisation semble derrière nous.

Pour les règles du commerce, de 2010 à 2015, il y a eu cinq fois plus de barrières commerciales ajoutées que retirées.

Pour le volume des activités, le commerce international a cessé d’augmenter plus vite que le PIB.

Et pour la politique, de nouveaux adversaires montent en puissance. Dans les années 90, c’est surtout la gauche qui dénonçait la mondialisation. Une partie de la droite s’est depuis jointe à cette contestation, avec des critiques et des solutions bien sûr très différentes, comme on l’a vu avec le Brexit et l’élection de Donald Trump.

Certes, la mondialisation est loin de s’effondrer, mais à tout le moins, elle s’essouffle, comme le notaient de nombreux analystes dans leurs bilans de 2019*.

Richard Ouellet, professeur en droit économique international à l’Université Laval, parle de la montée du « commerce géré ». Soit des contrats entre États, dictés par la realpolitik plutôt que des traités.

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La crise de la COVID-19 révèle des vulnérabilités longtemps ignorées.

Elle donne tort à une phrase célèbre du patron d’Apple, qui prétendait il y a plus d’une décennie que le stockage était « fondamentalement mal (evil) » et qui préconisait plutôt la circulation des biens « juste à temps ».

Cette approche était aussi efficace que fragile, surtout lorsque combinée à la délocalisation des chaînes d’approvisionnement. Des entreprises et des États le réalisent douloureusement aujourd’hui.

C’est entre autres à cela que le premier ministre Legault a fait référence. Comme d’autres territoires, le Québec veut maintenant produire lui-même certains biens essentiels, comme les équipements médicaux, et manger davantage sa propre nourriture – lors de la dernière campagne électorale, la Coalition avenir Québec a déploré d’ailleurs notre manque de serres agricoles.

Même si on reste dans le brouillard de la crise, il y a une conclusion qu’on peut tirer avec confiance : le retour de l’État.

C’est l’État et non le secteur privé qui protège la santé et la sécurité de la population, la cohésion sociale et l’intérêt général.

Sans sonner le glas de la mondialisation, cela pourrait à tout le moins en ralentir la version du laisser-aller économique.

En terminant, trois observations pour la suite des choses.

D’abord, un risque. Espérons que la crise ne mène pas à un recul du multilatéralisme. Les défis de notre époque – pandémies, dérèglement climatique, paradis fiscaux – exigent au contraire une plus grande coopération.

Ensuite, une occasion. Si le Québec veut réduire son déficit commercial et renforcer son autonomie, il doit électrifier ses transports. L’importation de pétrole crée en effet chaque année une fuite de milliards de dollars hors de la province.

Enfin, un angle mort. N’oublions pas que la tendance à la démondialisation décrite ci-haut épargne les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Ces superpuissances n’ont pas eu besoin des accords commerciaux pour étendre leurs tentacules. Elles fonctionnent selon leurs propres règles et le choc de la COVID-19 les épargne – elles pourraient même en profiter.

Même si l’État semble de retour, voilà un marché qui lui fait encore des pieds de nez.

On ignore précisément où ira la mondialisation, mais à tout le moins, on peut en déterminer les écueils.

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