anniversaire

Le Sweet Sixteen gagne le Québec 

Thématique de soirée, robe de princesse, table de desserts, DJ, photobooth… Les anniversaires de 16 ans, communément appelés Sweet Sixteen, semblent avoir gagné le cœur des jeunes Québécoises et de leurs parents. État des lieux et raison d’être d’un phénomène grandissant et de son industrie florissante.

Un dossier de notre collaboratrice spéciale Géraldine Zaccardelli

Sweet Sixteen

Une tendance en explosion

« C’était le plus beau jour de ma vie ! Comme un mariage, mais toute seule [rires] ! J’étais une princesse avec ma belle robe, entourée de tous ceux que j’aimais ! », s’exclame Anaïs Klanac-Lavoie, 17 ans, en se remémorant le jour de sa quinceañera (l’équivalent du Sweet Sixteen, mais à 15 ans, dans la culture latino-américaine). 

« Pour moi, le Sweet Sixteen et la quinceañera, c’est la même affaire ! », ajoute-t-elle. L’adolescente montréalaise d’origine colombienne n’est pas la seule à parler de la célébration de son anniversaire en termes aussi élogieux. Pour Mika-Anne Reha, presque 17 ans, son Sweet Sixteen de rêve ressemblait exactement à celui qu’elle a vécu. « J’étais entourée des personnes importantes pour moi, avec une super surprise, un DJ, des performances musicales, un photobooth, un photographe et un immense bar à bonbons ! », précise-t-elle.

Des fêtes grandioses

Les requêtes d’organisation d’anniversaires de 15 ou 16 ans ont explosé dans les dernières années, selon les organisatrices de tels événements. Et les fêtes semblent toujours plus grandioses. « Les appels viennent à 99,9 % des parents, et on en organise beaucoup. C’est la grosse tendance du moment et c’est devenu un super gros événement, comme un mini-mariage pour les familles ! », explique l’organisatrice d’événements Anna Mormina, qui a créé sa boîte M2U Events avec sa collègue Angela Martignetti, il y a une dizaine d’années. 

« C’est rendu une compétition entre les filles, explique-t-elle. Qui aura la fête la plus grandiose et glamour : les jeunes poussent leurs parents pour avoir quelque chose d’encore plus impressionnant que leurs amies ! »

— Anna Mormina, organisatrice d’événements chez M2U Events

Même son de cloche du côté de Chrissy Sgourakis, fondatrice de l’entreprise Haute Balloon, qui se spécialise dans l’offre de ballons de luxe et dans la création d’événements hautement stylisés. « Depuis deux, trois ans, les demandes ont énormément augmenté et, en quelques mois, on peut participer à plus d’une quinzaine de Sweet Sixteen », affirme-t-elle. 

Tiffany & Co, Chanel ou encore Victoria’s Secret, tant de marques luxueuses évoquées par les organisatrices et réclamées par les jeunes filles. Sans parler des tables de desserts toujours plus extravagantes et personnalisées, du gâteau, du DJ (connu, idéalement), de la déco et du petit cadeau de remerciement personnalisé offert à la… centaine d’invités. 

« Pour leur fête, les filles veulent montrer une vie luxueuse, avec des choses dont elles rêvent et qui leur sont inaccessibles dans le quotidien », explique Anna Mormina. 

L’influence des médias sociaux

Une tendance que confirme Chrissy Sgourakis et que les deux expertes expliquent en grande partie par l’influence des médias sociaux et des téléréalités sur la vie des stars, comme celles sur les sœurs Kardashian. « Ce sont elles qui ont vraiment commencé les tendances des fêtes grandioses avec thèmes et à montrer ça publiquement », souligne Anna Mormina. 

Les adolescentes sont présentes sur les réseaux sociaux de plus en plus jeunes et ont facilement accès à la vie des stars qu’elles aiment. « Nos clientes et leurs familles veulent publier des photos sur leurs comptes et montrer que leur party était mémorable ! », soutient Chrissy Sgourakis.

Mais à quel prix ?

Même si le plus gros budget avec lequel Tania Tassone, organisatrice montréalaise et présidente de TassONE Events, a travaillé pour un Sweet Sixteen a été de 100 000 $, les sommes se situent généralement entre 25 000 $ et 40 000 $. « C’est sûr que c’est un peu extrême de dépenser tout cet argent pour la fête d’une jeune fille de 16 ans, mais si les parents ont les moyens, pourquoi pas ? », ajoute celle qui a collaboré à l’émission américaine de téléréalité My Super Sweet 16, diffusée sur MTV en 2007.

Anna Mormina parle d’enveloppes moyennes de 5000 $ à 10 000 $ par célébration. « Par contre, c’est important pour nous de rester honnêtes avec les clients et de garder le budget au plus bas », rappelle-t-elle. Il faut savoir qu’en moyenne, il en coûte 60 $ par centre de table en fleurs, que la présence d’un DJ pour la soirée coûte entre 500 $ et 800 $, que c’est minimum 1200 $ pour une table de desserts, 750 $ pour des ballons, et qu’il faut penser à un budget pour la déco, le photobooth et la planification. 

Avec de telles sommes à considérer, la clientèle provient de la classe moyenne et aisée. 

« Mes clients sont moitié francophones et moitié anglophones, viennent de quartiers comme Westmount, Saint-Laurent, Sainte-Dorothée, Laval, le centre-ville et le West Island et proviennent pour la plupart de milieux aisés. »

— Anna Mormina

Geneviève Leduc, psychologue en pédopsychiatrie au CHU Sainte-Justine et elle-même mère d’une adolescente, met en garde les parents contre les dépenses excessives que peut engendrer ce type d’événement. « Il faut trouver un juste milieu entre les souhaits du jeune et les facteurs de réalité économiques ou organisationnels, souligne-t-elle. Il y a parfois un décalage entre ce que le parent est en mesure d’offrir et le souhait de l’adolescent. »

Un aspect important soulevé également par Marie-Sol Lavoie, mère de la jeune Anaïs, qui a été derrière toute l’organisation de la quinceañera de son ado. « Même si nous n’avons pas accédé à toutes les demandes de notre fille, je retiens que ce n’est pas nécessaire de dépenser autant d’argent pour un tel événement. C’était une immense fierté pour moi de voir la jeune femme magnifique que ma fille devenait, mais c’était aussi beaucoup de stress et d’investissement », relate-t-elle. 

Sweet Sixteen

une Étape de transition

On souligne plus souvent les 18 ans des adolescents, qui marquent le passage vers la majorité. Mais pourquoi célébrer avec une telle ampleur les 16 ans des jeunes filles ? 

Pour la mère de Mika-Anne Reha, Martine Desjardins, il était de mise de souligner cet événement parce que « le 16e anniversaire marque une étape importante. Sans être l’âge de la majorité, c’est vraiment le moment où l’on passe de jeune fille à femme », croit-elle. 

Même réaction chez Anaïs Klanac-Lavoie. « Ma quinceañera était importante pour moi car c’est la transition de ma vie d’enfant à celle de jeune femme, et je me suis sentie différente après la fête. Dans la tradition latino, d’ailleurs, au début de la cérémonie, le père change les chaussures d’enfant de sa fille, pour lui faire porter de petits talons », raconte- t-elle. Une image forte pour présenter ce changement de statut. 

Pour Mika-Anne, l’intérêt tournait plutôt autour de l’idée « de faire un beau party avec le monde [qu’elle] aime ». « Je sais que ça souligne le passage au monde adulte, mais c’est la notion de fête qui m’attirait. À 16 ans, on aime ça se réunir entre amis, et un anniversaire est l’occasion parfaite », soutient-elle.

Acquisition de l’identité

En effet, pour la psychologue Geneviève Leduc, l’adolescence est une étape de transition dans laquelle l’acquisition de l’identité propre de l’adolescent se développe. Ce dernier se détache tranquillement de ses parents, pour s’ouvrir à son environnement. D’où l’importance de reconnaître ce changement de statut, mais aussi la reconnaissance sociale par ses amis. 

« Il ne faut pas ignorer toute l’importance de se sentir partie prenante de son groupe de pairs, du sentiment d’affiliation que cela procure et du fait d’être reconnu par ce groupe », dit-elle. 

« Seize ans, c’est une étape cruciale vers l’autonomie nouvelle. Cela revêt une grande signification, mais c’est très variable selon les caractéristiques individuelles de chaque adolescent. »

— Geneviève Leduc, psychologue en pédopsychiatrie au CHU Sainte-Justine

Son conseil aux parents qui pensent organiser une célébration pour les 16 ans de leur fille ? Demeurer attentifs à la réalité de leur ado et de la pression de leurs pairs. « Il faut se demander comment va être vécue cette pression et quelles sont ses attentes face à cet événement. Pour un jeune qui n’aurait pas les mêmes moyens pour souligner sa fête ou pour celui qui aurait moins d’habiletés sur le plan social, cela peut être plus stigmatisant que valorisant. » 

Dans l’ensemble, il faut garder en tête que cela peut être un bel événement s’il est vécu dans l’écoute et dans l’authenticité, mais qu’il peut être générateur de stress, rappelle la psychologue. « C’est un âge où l’on est très sensible et où l’on se compare énormément. »

Le Sweet Sixteen, une affaire de filles ?

À discuter avec les spécialistes de la question, il semblerait que le Sweet Sixteen soit une affaire de filles. « Nous n’avons pas trop de demandes pour les garçons, mais ça ne veut pas dire que la tradition ne pourrait pas s’étendre jusqu’à eux. Les jeunes hommes préfèrent probablement un geste sous la forme d’un grand cadeau comme une voiture ou un voyage », croit Anna Mormina.

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