Laurent Duvernay-Tardif

Un liberal montréalais à Kansas City

Laurent Duvernay-Tardif vient s’asseoir dans les marches, sandwich à la main. Il s’offre un instant de repos après avoir passé la matinée à courir avec 150 jeunes au stade de l’Université Concordia.

À pareille heure la veille, il terminait le mini-camp des Chiefs de Kansas City. Le soir même, il prenait l’avion pour revenir à Montréal. Quelques heures de sommeil, et il se levait pour participer à une autre activité de sa Fondation.

« J’en ai besoin. Quand je suis entré à McGill en médecine, on m’a dit que je devrais arrêter le football. J’ai écouté, j’ai arrêté le football. Mes notes ont diminué, je n’étais pas bien dans ma tête. Je dois être hyperactif, il faut que je bouge. Pour être équilibré et performant, il faut que je me lève le matin avec un horaire surchargé. »

Le garde des Chiefs raconte à la blague qu’il a dû annuler son abonnement à Netflix, faute de temps pour en profiter.

De fait, son horaire des prochains jours est démentiel. Il visitera avec sa fondation les universités de Sherbrooke et McGill, la semaine prochaine. Puis mercredi, 5 à 8 de collecte de fonds et, jeudi, tournoi de golf. Puis hop, dans l’avion vers Toronto, encore pour sa fondation. Mais il ne lui est jamais venu à l’esprit qu’il en faisait trop.

Le sport, les arts et les études

C’est devenu un défi personnel de se dépasser au gymnase, autant que n’importe quel autre coéquipier, même quand il sort d’un quart de travail de 12 heures à l’hôpital. Et même à quelques jours de son examen final de médecine en avril, il s’est imposé d’aller voir les jeunes de Québec, de Trois-Rivières et de Chicoutimi, à qui il avait donné rendez-vous.

« J’en ai besoin pour mon équilibre personnel. Après, tout est plus facile. Tu es capable de mieux performer dans les autres sphères de ta vie. C’est la mission de ma fondation, prôner l’équilibre entre le sport, les arts et les études. C’est aussi ce que je veux prioriser dans ma vie. »

C’est lui, le chef d’orchestre de la journée, jusqu’à la distribution des lunchs. Il doit aussi beaucoup à la directrice générale de sa fondation Marie-Christine et à sa conjointe Florence. C’est d’ailleurs à Florence, à ses côtés depuis huit ans, que l’on pose la question de toutes les questions : Laurent a-t-il des défauts ?

Elle rit. « Il est hyperactif. Il est brouillon. Il a besoin d’une équipe autour de lui. »

LDT le sait. Il ajoute qu’il doit améliorer sa capacité d’écoute.

« Prendre le temps d’écouter les gens, ce sont des défis que je me donne. Quand je parle, je veux aussi que ce soit pertinent. Les gens m’écoutent parce que je joue dans la NFL, donc quand je parle, ça doit être pertinent. Je me rends compte, des fois, que j’ai trop parlé et que j’aurais dû écouter plus. »

L’homme le plus intéressant de la NFL

Le temps file, les jeunes reviennent peu à peu de leur pause repas. Un acrobate vient donner un spectacle, le volet « artistique » de la journée. La touche de Florence, qui doit au cours de la prochaine année travailler à la nouvelle branche « art » de la fondation.

Mais LDT n’est pas devenu par hasard « l’homme le plus intéressant de la NFL », comme l’ont surnommé plusieurs médias américains. La discussion glisse vers la politique : démocrates et républicains, genou posé sur le sol ou non. La tension peut être vive à Kansas City, une enclave démocrate dans un État fermement pro-Trump. Duvernay-Tardif précise qu’il sera debout sur le terrain au moment des hymnes nationaux. Il ne sait pas trop comment attaquer de front cet enjeu.

« Dans un vestiaire, il y a de tout, des religions différentes, des gens qui ont vécu dans des milieux démographiquement différents. Il y a le gars qui vient d’une banlieue, élevé par une mère afro-américaine chef de famille monoparentale, et le gars blanc dont les parents ont servi dans l’armée. Pour certains, tu parles du genou à terre, et ils savent que s’ils le font, ils seront reniés par leur famille. Qu’ils vont salir l’image de leur frère mort en Afghanistan. Puis, tu as l’autre gars dont le cousin a été tiré par la police. Il y a des tensions raciales visibles dans sa collectivité et c’est sa seule manière de protester. Ces deux gars-là jouent l’un à côté de l’autre et doivent former une chimie d’équipe. C’est quoi, la bonne réponse ? Je ne sais pas. »

LDT reconnaît toutefois que ses coéquipiers savent à quelle enseigne il loge, politiquement parlant. Il est déjà étiqueté comme liberal, la version américaine de progressiste. Tout le monde sait qu’il voterait démocrate s’il devait se prononcer. Surtout, il s’est fait le porte-parole des valeurs d’ouverture de sa contrée natale.

« Je raconte des histoires de Montréal, le système de santé, les droits universitaires. La NFL paie l’université, et j’arrive avec ma facture de 1500 $. Les gars ne comprennent pas pourquoi je ne me fais pas rembourser 60 000 $. »

« Je me fais une fierté d’exporter la marque québécoise de la personne ouverte, multiculturelle, qui rejette l’homophobie et le racisme. »

— Laurent Duvernay-Tardif

Au début, quand LDT parlait d’un bar incontournable du village gai, certains se braquaient. Avec le temps, il a réussi à attiser la curiosité pour Montréal. Comme il n’est pas américain, il se pose aujourd’hui en observateur des débats politiques de vestiaire. Il ne juge pas. Il préfère écouter et essayer de comprendre, sans s’imposer.

« Si quelqu’un porte une casquette Make America Great Again, je vais aller le voir et je vais lui demander en quoi l’Amérique n’était pas bonne et en quoi appuyer la personne qui a fait faire cette casquette va faire des États-Unis un meilleur pays. L’armée, la diminution des taxes, les crédits d’impôt aux entreprises ? Tu écoutes, et tu te rends compte que la nouvelle vient des réseaux sociaux et qu’elle ne repose pas sur des faits. Comme elle circule, ça devient la vérité absolue. C’est difficile, parfois, d’avoir une discussion parce que les gens n’ont pas tous les faits pour étoffer leur argumentaire. »

Un agent de sécurité vient saluer Laurent dans les marches. Il demande qu’on le rassure sur le nouveau quart des Chiefs Patrick Mahomes. Un jeune homme s’approche et demande des conseils à l’approche de sa propre saison de football. L’action reprend avec les jeunes sur le terrain, et on n’a même pas encore parlé de football.

Ce sera pour une prochaine fois.

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