Chronique

Seulement la fin du commencement

Chef de cabinet du premier ministre Brian Mulroney, Derek Burney a dirigé en 1987 les négociations en vue de la conclusion du premier accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Comme beaucoup de spécialistes, il estime que la nouvelle entente dévoilée lundi constitue un moindre mal qui confirme par ailleurs l’importance pour les entreprises canadiennes de réduire leur dépendance commerciale des États-Unis.

Derek Burney connaît bien les États-Unis. Après avoir négocié l’accord de libre-échange Canada–États-Unis, il est devenu ambassadeur du Canada à Washington de 1989 à 1993. En 1992, il a été également au cœur des négociations de l’ALENA, l’entente commerciale élargie avec le Mexique.

Selon lui, l’entente de principe qui devrait conduire à la signature du nouvel Accord États-Unis–Mexique–Canada (AEUMC) n’a pas donné matière à célébrations au Canada cette semaine, mais elle a toutefois généré un soulagement évident.

Aujourd’hui conseiller stratégique principal chez Norton Rose Fulbright Canada, Derek Burney animait hier un webinaire pour décortiquer les conséquences possibles du nouvel accord pour les entreprises canadiennes.

Compte tenu du contexte de la réouverture de l’ALENA, « le pire accord commercial jamais signé par les États-Unis », selon le président Donald Trump, M. Burney est d’avis que les négociateurs canadiens ont réussi un tour de force en préservant l’essentiel de l’entente précédente.

« Dans les derniers jours de la négociation, il restait deux enjeux majeurs à régler. Les Américains voulaient à tout prix un accès au marché laitier canadien, et nous, on tenait absolument à préserver le panel des différends commerciaux », a-t-il rappelé.

Or, selon Derek Burney, le président américain a finalement été obligé de céder sur plusieurs fronts pour obtenir une entente avant les prochaines élections au Congrès.

Il devait démontrer au peuple américain que les États-Unis n’étaient pas en guerre commerciale avec tout le monde et qu’il était possible de s’entendre, à l’avantage des États-Unis, bien sûr.

« Étrangement, Trump, qui a sorti les États-Unis du Partenariat transpacifique et qui voulait déchirer l’ALENA, a accepté lundi une entente de principe qui reconduit à peu près tous les points de ces deux accords », a souligné Derek Burney.

Selon l’ancien négociateur canadien, la conclusion d’une entente de principe n’est pas le début de la fin, mais marque plutôt la fin du début du processus en vue d’arriver à la ratification de l’AEUMC.

« Le Congrès doit maintenant voter sur l’entente. Ensuite, il faudra rédiger une loi sur laquelle on devra voter à nouveau. Comme on dit à Washington, ce n’est jamais fini à Washington… »

La rhétorique protectionniste

Si le Canada a réussi à conclure une entente commerciale qui, en définitive, n’a pas été trop dévastatrice, cela n’empêchera aucunement Donald Trump de poursuivre sa croisade protectionniste, comme en fait foi le maintien des droits punitifs américains sur les exportations canadiennes d’acier et d’aluminium.

Rien n’y fait. En dépit des appels à la raison lancés à Washington par des dizaines de PDG d’entreprises américaines qui sont lourdement affectées financièrement par ces tarifs, Trump persiste à dire que ses mesures punitives fonctionnent, et le peuple américain le croit.

Comme je le rappelais dans ma chronique précédente, Trump réussit à obtenir un taux d’approbation surprenant auprès de l’électorat américain. Il a atteint, hier, la marque des 50 %.

Son discours protectionniste est renforcé dans la tête des électeurs par la publication de données économiques toujours plus positives les unes que les autres.

Les Bourses américaines enregistrent des records de fermeture successifs, l’emploi est à son zénith, et on apprenait hier que les nouvelles demandes d’assurance-chômage ont atteint la semaine dernière leur plus bas niveau des 49 dernières années.

Les difficultés rencontrées dans la renégociation de l’ALENA ont démontré qu’il était capital que les entreprises canadiennes diversifient leurs marchés et ne canalisent plus 75 % de leurs exportations vers le seul marché américain.

Le Canada a ratifié un accord de libre-échange avec l’Union européenne, et le Partenariat transpacifique va prochainement devenir opérationnel, ouvrant de nouvelles perspectives aux entreprises canadiennes vers des pays comme le Japon, la Malaisie ou le Viêtnam.

Derek Burney estime que le Canada doit maintenant devenir beaucoup plus sérieux dans ses relations économiques avec la Chine ou l’Inde, deux gigantesques économies qui vont continuer d’accélérer leur développement au cours des prochaines années.

L’entente de principe en vue de la signature de l’AEUMC ne marque pas le commencement de la fin, mais elle nous indique plutôt que ce n’est que la fin du commencement et qu’il est temps de prendre une saine distance avec les États-Unis et de diversifier nos échanges commerciaux avec les autres grands acteurs économiques de la planète.

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