Société

Retour vers les jeux de société

« C’est rendu impossible d’aller à un chalet avec des amis sans avoir à jouer à des jeux ! », lançait récemment un collègue, dépassé par la tendance. Contrairement aux milliers de nouveaux adeptes, il n’est visiblement pas (encore) tombé dans la potion ludique, qui semble déferler. Loin des écrans, près des gens, place au retour en grand des jeux de société !

Le Randolph ouvrira d’un jour à l’autre son quatrième Pub Ludique, à Repentigny. Les boutiques, bars et cafés de jeux de société se comptent maintenant par dizaines au Québec, les événements se multiplient et des milliers de nouveaux jeux – entre 2000 et 4000 – se disputent une place sur les tablettes chaque année. L’industrie, marginale il y a à peine 10 ans, est en plein essor dans la Belle Province et, non, elle n’est pas réservée aux geeks et aux amateurs de Donjons et Dragons.

«  Récemment, ça a explosé. Les lieux comme le Randolph, La Récréation – des pubs et cafés ludiques où on peut se présenter pour jouer à des jeux –, ça a créé un engouement parce que ça a rendu le jeu très accessible.  »

— Simon Jutras, président de Ludo Québec et animateur de l’émission balado Baladoludique

«  Avec le service d’animation [aux tables], ça fait que n’importe qui peut découvrir n’importe quel jeu  », observe Simon Jutras, président de Ludo Québec, un OBNL dont la mission est de faire connaître au public l’univers du jeu de société moderne et de représenter les différents membres de l’industrie.

De Monopoly à Wingspan

Jadis, la bibliothèque québécoise classique contenait quelques boîtes : Mille bornes et Clue, peut-être Scattergories, assurément Monopoly. Les joueurs les plus accomplis s’aventuraient à Risk et autres jeux de plateau qui pouvaient durer des heures.

Des jeux longs, de hasard, qui laissent peu de contrôle au joueur. Aux tournant des années 2000, les jeux européens – principalement allemands, comme Carcassonne – ont commencé à être traduits et à faire leur entrée sur le marché international.

«  Les jeux euros sont des jeux où la prise de décision du joueur est vraiment significative, donc il y a plus de stratégie. Mais ce ne sont pas nécessairement des jeux plus complexes. Ce sont des jeux qui vont durer autour d’une heure. Ils sont plus accessibles et nécessairement plus intéressants. Ces jeux-là ont donc commencé à arriver graduellement, et les consommateurs ont très bien réagi  », explique Simon Jutras.

Il suffit de mettre les pieds au Valet de cœur – l’un des rares commerces de la rue Saint-Denis à avoir traversé les tempêtes, preuve que la clientèle est fidèle et passionnée – pour constater que la boutique, qui vend des jeux de société et des jeux de rôle, fourmille de gens de tous âges et horizons. Les néophytes peuvent être dépassés par l’embarras du choix, mais les fins connaisseurs savent exactement vers quelle allée se diriger en entrant dans le commerce.

«  Les jeux sont de plus en plus beaux. Ce sont des objets de plus en plus raffinés sur lesquels travaillent des équipes de graphistes, de design industriel, des illustrateurs. Les jeux sont de plus en plus attrayants, et c’est presque comme jouer avec un jouet  », décrit M. Jutras, qui avoue que les jeux de société éveillent son cœur d’enfant.

«  Tu sais, quand tu vois un nouveau jeu, tu as comme la petite boule, tu es comme frétillant. Quand je m’assois à une table et que quelqu’un m’explique les règles d’un nouveau jeu, que j’ai le matériel devant moi, c’est dur de ne pas commencer à y toucher  », confie l’homme de 32 ans avec un enthousiasme contagieux.

Les jeux favorisent aussi l’apprentissage, alors qu’ils mettent à l’épreuve différentes connaissances générales et facultés cognitives, comme le calcul mental, la pensée à long terme, la géographie, etc.

Le jeu Wingspan, par exemple, contient sur chacune de ses cartes des informations scientifiques sur un oiseau d’Amérique du Nord telles que sa taille, son régime, son habitat. Conçu par Elizabeth Hargrave, l’une des rares femmes dans le milieu, il a remporté le plus prestigieux prix de l’industrie, le Spiel des Jahres 2019 (prix de l’année, en allemand) ; s’est vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires depuis janvier ; et est constamment en rupture de stock.

Retour aux sources

Il y a cinq ans, quand Nicolas Hallet et Francis Fortier ont mis sur pied le Salon du jeu et du jouet de Québec, dont la mission est que les gens aillent «  jouer, découvrir et s’amuser  », ils s’attendaient à ce que le jeu vidéo soit l’intérêt central de leur événement et que les jeux de société soient un «  à-côté  ».

«  On s’est rendu compte qu’environ 75 % des gens qui venaient au Salon avaient d’abord un intérêt pour les jeux de société  », raconte Nicolas Hallet, coorganisateur du Salon du jeu et du jouet de Québec, qui en sera à sa cinquième édition la fin de semaine prochaine.

«  Le phénomène est en constante croissance depuis cinq ans. Premièrement, les jeux ont beaucoup évolué depuis 10 ans, et la diversité des produits va rejoindre différents publics. Et l’autre raison principale, c’est que les gens ont besoin de déconnecter de leur écran, de retrouver un contact humain et social  », estime M. Hallet.

«  Le fait de se rassembler autour d’une table et de ne pas être sur un ordi, c’est très, très important dans l’essor des jeux. Pour moi, c’est une des premières facettes, il y a une dizaine d’années, qui a fait que les gens ont commencé à se rassembler de plus en plus  », pense aussi Simon Jutras.

« Quand tu passes 10 heures sur un ordi pour le travail, tu n’as pas nécessairement le goût d’aller jouer à un jeu vidéo. Et ça, ça contribue à l’essor des jeux de société. Moi, quand j’arrive le soir, j’ai le goût de jouer avec des amis, sur une table, dans la réalité et pas dans le virtuel. »

— Simon Jutras, président de Ludo Québec et animateur de l’émission balado Baladoludique

Ironiquement, ce sont aussi les médias sociaux qui ont permis cet envol, parce que la communauté de «  hobbyistes  », comme M. Jutras qualifie les amateurs de la première heure, était déjà bien établie avant l’engouement des dernières années.

«  Dans le temps, il y avait des forums un peu obscurs. Mais les réseaux sociaux ont permis aux joueurs de se rassembler entre eux et de trouver de nouveaux joueurs, explique M. Jutras. On peut aussi dire que l’étiquette du geek s’est renversée. Il y a 10 ou 15 ans, être geek, c’était être nerd. Maintenant, c’est plus cool, c’est bien vu. Et au fond, tout le monde est rendu un geek de quelque chose.  »

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